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que le propre du verbe étant d'affirmer, il faut qu'il y ait quelque chose dont on affirme, ce qui est le sujet ou le nominatif du verbe, quoique devant les infinitifs il soit à l'accusatif: scio Petrum esse doctum.

La troisième, qu'il n'y peut avoir d'adjectif qui n'ait rapport à un substantif, parce que l'adjectif marque confusément un substantif, qui est le sujet de la forme qui est marquée distinctement par cet adjectif : doctus, savant, a rapport à quelqu'un qui soit savant.

La quatrième, qu'il n'y a jamais de génitif dans le discours, qui ne soit gouverné d'un autre nom; parce que ce cas marquant toujours ce qui est comme le possesseur, il faut qu'il soit gouverné de la chose possédée. C'est pourquoi ni en grec, ni en latin, aucun verbe ne gouverne proprement le génitif, comme on l'a fait voir dans les Nouvelles Méthodes pour ces langues. Cette règle peut être plus difficilement appliquée aux langues vulgaires, parce que la particule de, qui est la marque du génitif, se met souvent pour la préposition ex ou de.

La cinquième, que le régime des verbes est souvent. pris de diverses espèces de rapports enfermés dans les cas, suivant le caprice de l'usage, ce qui ne change pas le rapport spécifique à chaque cas, mais fait voir que l'usage en a pu choisir tel ou tel à sa fantaisie.

Ainsi l'on dit en latin juvare aliquem, et l'on dit, opitulari alicui, quoique ce soit deux verbes d'aider, parce qu'il a plu aux Latins de regarder le régime du premier verbe, comme le terme où passe son action, et celui du second comme un cas d'attribution, à laquelle l'action du verbe avait rapport.

Ainsi l'on dit en français: servir quelqu'un, et servir à quelque chose.

Ainsi, en espagnol, la plupart des verbes actifs gouvernent indifféremment le datif ou l'accusatif.

Ainsi un même verbe peut recevoir divers régimes, surtout en y mêlant celui des prépositions, comme præstare alicui, ou aliquem, surpasser quelqu'un.

Ainsi l'on dit, par exemple, eripere morti aliquem, ou mortem alicui, ou aliquem à morte; et semblables.

Quelquefois même ces divers régimes ont la force de changer le sens de l'expression, selon que l'usage de la langue l'a autorisé : car, par exemple, en latin cavere alicui, est veiller à sa conservation, et cavere aliquem, est se donner de garde de lui; en quoi il faut toujours consulter l'usage dans toutes les langues.

Des figures de construction.

Ce que nous avons dit ci-dessus de la syntaxe, suffit pour en comprendre l'ordre naturel, lorsque toutes les parties du discours sont simplement exprimées, qu'il n'y a aucun mot de trop ni de trop peu, et qu'il est conforme à l'expression naturelle de nos pensees.

Mais parce que les hommes suivent souvent plus le sens de leurs pensées, que les mots dont ils se servent pour les exprimer, et que souvent, pour abréger, ils retranchent quelque chose du discours, ou bien que, regardant à la grâce, ils y laissent quelque mot qui semble superflu, ou qu'ils en renversent l'ordre natu

rel; de là est venu qu'ils ont introduit quatre façons de parler, qu'on nomme figurées, et qui sont comme autant d'irrégularités dans la Grammaire, quoiqu'elles soient quelquefois des perfections et des beautés dans la langue.

Celle qui s'accorde plus avec nos pensées, qu'avec les mots du discours, s'appelle SYLLEPSE, ou Conception; comme quand je dis, il est six heures: car, selon les mots, il faudrait dire, elles sont six heures, comme on le disait même autrefois, et comme on dit encore, ils

sont six, huit, dix, quinze hommes, etc. Mais, parce que ce que l'on prétend n'est que de marquer un temps précis, et une seule de ces heures, savoir, la sixième, ma pensée, qui se jette sur celle-là, sans regarder aux mots, fait que je dis, il est six heures, plutôt que elles sont six heures.

Et cette figure fait quelquefois des irrégularités contre les genres, comme, ubi est scelus qui me perdidit? contre les nombres, comme, turba ruunt; contre les deux ensemble, comme, pars mersi tenuêre ratem, et semblables.

Celle qui retranche quelque chose du discours, s'appelle ELLIPSE, ou Défaut; car quelquefois on sousentend le verbe, ce qui est très-ordinaire en hébreu, où le verbe substantif est presque toujours sous-entendu ; quelquefois le nominatif, comme pluit, pour Deus, ou natura pluit; quelquefois le substantif, dont l'adjectif est exprimé : paucis te volo, sup. verbis alloqui ; quelquefois le mot qui en gouverne un autre, comme est Romæ, pour est in urbe Romæ, et quelquefois celui qui est gouverné, comme faciliùs reperias (sup. homines) qui Romam proficiscantur quàm qui Athenas. Cic.

La façon de parler qui a quelques mots de plus qu'il ne faut s'appelle PLÉONASME, ou Abondance: comme, vivere vitam, magis major, etc.

Et celle qui renverse l'ordre naturel du discours, s'appelle HYPERBATE, ou Renversement.

On peut voir des exemples de toutes ces figures dans les Grammaires des langues particulières, et surtout dans les Nouvelles Méthodes que l'on a faites pour la grecque et pour la latine, où on en a parlé assez amplement.

J'ajouterai seulement qu'il n'y a guère de langue qui use moins de ces figures que la nôtre, parce qu'elle

aime particulièrement la netteté, et à exprimer les choses autant qu'il se peut, dans l'ordre le plus naturel et le plus désembarrassé, quoiqu'en même temps elle. ne cède à aucune en beauté ni en élégance.

REMARQUES.

La Grammaire, de quelque langue que ce soit, a deux fondements, le vocabulaire et la syntaxe.

Tous les mots d'une langue sont autant de signes d'idées, et composent le vocabulaire ou le dictionnaire; mais, comme il ne suffit pas que les idées aient leurs signes, puisqu'on ne les considère pas isolées et chacune en particulier, et qu'il faut les mettre en rapport les unes à l'égard des autres, pour en former des jugements, on a imaginé des moyens d'en marquer les différents rapports : c'est ce qui fait la syntaxe et les règles de la construction des mots les uns avec les autres. Toutes les lois de la syntaxe, tous les rapports des mots, peuvent se rappeler à deux : le rapport d'identité, et le rapport de détermination.

Tout adjectif n'étant que la qualité d'un substantif, et tout verbe n'exprimant qu'une manière d'être, ils ont l'un et l'autre, avec le substantif, un rapport d'identité.

L'adjectif doit s'accorder avec son substantif en genre, en nombre et en cas (dans les langues qui ont des cas) et le verbe doit s'y accorder en nombre et en personne, puisque l'adjectif et le verbe ne sont que des modifications de ce substantif.

Exemples: une belle maison, de beaux jardins. On dit belle, parce que maison est un substantif féminin singulier; et l'on dit beaux, parce que le mot jardins est un masculin pluriel.

Un bon roi aime le peuple. Un, bon, roi, aime, ne présentant qu'un même objet, il y a entre ces quatre mots rapport d'identité.

Ainsi, quelque séparé qu'un adjectif puisse être de son substantif, quelqu'éloigné qu'en soit le verbe, quelqu'inversion enfin qu'une langue telle que la grecque et la latine permette dans le tour de la phrase, l'esprit réunit aussitôt pour le sens tous les mots qui ont un rapport d'identité.

Dans la phrase citée, peuple n'a point de rapport d'identité avec un bon roi aime, mais il a un rapport de détermination avec aime; il détermine et fait connaître ce qu'on dit qu'aime un bon roi.

Il faut observer que le rapport d'identité s'unit avec celui de détermination, quand on dit bon roi. Bon, est identique avec roi, et il a de plus un rapport de détermination, en ce qu'il détermine roi; mais le peuple n'a que le rapport de détermi→ nation avec roi, et n'a pas celui d'identité.

Le rapport d'identité est le fondement de la concordance du genre, du nombre, etc. Le rapport de détermination est le fondement du régime; c'est-à-dire qu'il exige telle ou telle terminaison, suivant la destination des cas, dans les langues qui en ont, ou qu'il fixe la place du mot dans celles qui n'ont point de cas, comme le français. Ainsi il serait indifférent, pour le sens, qu'on dît en latin, rex amat populum, ou populum amat rex; mais il faut nécessairement dire en français, pour rendre le même sens, le roi aime le peuple : car si l'on mettait roi à la place de peuple, et peuple à la place de roi, le sens serait différent, parce que la place des mots détermine leurs rapports en français.

Toute la syntaxe se réduit donc aux deux rapports qui vien→ nent d'être marqués, et toutes les figures de construction peuvent s'y rappeler.

MM. de Port-Royal en exposant les quatre principales, ne 'donnent d'exemple en français, que de la Sillepse: il est à propos d'ajouter un exemple de chacune des autres.

L'ellipse est assez fréquente dans notre langue. Il n'y a point d'affirmation ou de négation par oui, et par non, qui ne soit une ellipse; car on sous-entend toujours la proposition qu'on affirme ou qu'on nie.

Avez-vous vu l'Italie? Oui; c'est-à-dire, j'ai vu l'Itálie. Il en est ainsi de la négation.

Le pléonasme est l'opposé de l'ellipse; c'est une superfluité de paroles inutiles au sens d'une proposition, et par conséquent un vice. On peut demander s'il y a de ces sortes de pléonasmes qui méritent le nom de figure du discours; car on ne doit pas regarder comme tel un mot qui répète à la vérité

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