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CHAPITRE IV.

Des Mots en tant que sons, où il est parlé de Accent.

Nous ne parlons pas encore des mots selon leur signification, mais seulement de ce qui leur convient en tant que sons.

On appelle mot ce qui se prononce à part, et s'écrit à part. Il y en a d'une syllabe, comme moi, da, tu, saint, qu'on appelle monosyllabes; et de plusieurs, comme père, dominus, miséricordieusement, Constantinopolitanorum, etc., qu'on nomme polysyllabes.

Ce qu'il y a de plus remarquable dans la prononciation des mots, est l'accent, qui est une élévation de voix sur l'une des syllabes du mot, après laquelle la voix vient nécessairement à se rabaisser.

L'élévation de la voix s'appelle accent aigu, et le rabaissement, accent grave: mais parce qu'il y avait en grec et en latin de certaines syllabes longues sur lesquelles on élevait et on rabaissait la voix, ils avaient inventé un troisième accent, qu'ils appelaient circonflexe, qui d'abord s'est fait ainsi (^), puis (^), et les comprenait tous deux.

On peut voir ce qu'on a dit sur les accents des Grecs et des Latins, dans les Nouvelles Méthodes pour les langues grecque et latine (1).

Les Hébreux ont beaucoup d'accents qu'on croit avoir autrefois servi à leur musique, et dont plusieurs

(1) Ouvrages du savant Lancelot, de Port-Royal. (Note de l'Ed.)

font maintenant le même usage que nos points et nos virgules.

Mais l'accent qu'ils appellent naturel et de grammaire, est toujours sur la pénultième, ou sur la dernière syllabe des mots. Ceux qui sont sur les précédentes, sont appelés accents de rhétorique, et n'empêchent pas que l'autre ne soit toujours sur l'une des deux dernières; où il faut remarquer que la même figure d'accent, comme l'atnach et le silluk, qui marquent la distinction des périodes, ne laisse pas aussi de marquer en même temps l'accent naturel.

REMARQUES.

Il est surprenant qu'en traitant des accents, on ne parle que de ceux des Grecs, des Latins et des Hébreux, sans rien dire de l'usage qu'ils ont, ou qu'ils peuvent avoir en français. Il me semble encore qu'on ne définit pas bien l'accent en général par une élévation de la voix sur l'une des syllabes du mot. Cela ne peut se dire que de l'aigu, puisque le grave est un abaissement. D'ailleurs, pour ôter toute équivoque, j'aimerais mieux dire, du ton que de la voix. Elever ou abaisser la voix, peut s'entendre de parler plus haut ou plus bas en général, sans distinction de syllabes particulières.

Il n'y a point de langue qui n'ait sa prosodie, c'est-à-dire, où l'on ne puisse sentir les accents, l'aspiration, la quantité et la ponctuation, ou les repos entre les différentes parties du discours, quoique cette prosodie puisse être plus marquée dans une langue que dans une autre. Elle doit se faire beaucoup sentir dans le chinois, s'il est vrai que les différentes inflexions d'un même mot servent à exprimer des idées différentes. Ce n'était pas faute d'expressions que les Grecs avaient une prosodie très-marquée; car nous ne voyons pas que la signification d'un mot dépendit de sa prosodie, quoique cela pût se trouver dans les homonymes. Les Grecs étaient fort sensibles à l'harmonie des mots. Aristoxène parle du chant du discours, et Denys d'Halicarnasse dit que l'élévation du ton

dans l'accent aigu, et l'abaissement dans le grave, étaient d'une quinte: ainsi l'accent prosodique était aussi musical, surtout le circonflexe, où la voix, après avoir monté d'une quinte, descendait d'une autre quinte sur la même syllabe, qui par conséquent se prononçait deux fois.

On ne sait plus aujourd'hui quelle était la proportion des accents des Latins, mais on n'ignore pas qu'ils étaient fort sensibles à la prosodie: ils avaient les accents, l'aspiration, la quantité et les repos.

Nous avons aussi notre prosodie; et quoique les intervalles de nos accents ne soient pas déterminés par des règles, l'usage seul nous rend si sensibles aux lois de la prosodie, que l'oreille serait blessée, si un orateur ou un acteur prononçait un aigu pour un grave, une longue pour une brève, supprimait ou ajoutait une aspiration; s'il disait enfin tempête pour tempête, axe pour axe, l'Hollande pour la Hollande, le homme pour l'homme, et s'il n'observait point d'intervalles entre les différentes parties du discours. Nous avons, comme les Latins, des irrationnelles dans notre quantité, c'est-à-dire, des longues plus ou moins longues, et des brèves plus ou moins brèves. Mais si nous avons, comme les anciens, la prosodie dans la langue parlée, nous ne faisons pas absolument le même usage qu'eux des accents dans l'écriture. L'aigu ne sert qu'à marquer l'é fermé, bonté, le grave marque l'è ouvert, succès; on de met aussi sur les particules à, là, çà, etc., où il est absolument inutile. Ainsi ni l'aigu ni le grave ne font pas exactement la fonction d'accents, et ne désignent que la nature des e; de cir→ conflexe ne la fait pas davantage, et n'est qu'un signe de quantité, au lieu que, chez les Grecs, c'était un double accent, qui élevait et ensuite baissait le ton sur une même voyelle: nous le mettons ordinairement sur les voyelles qui sont longues et graves; exemples: áge, fête, côte, jeûne : on le met aussi sur les voyelles qui sont longues sans être graves; exemples: gite, flúte, voûte. Il est à remarquer que nous n'avons point de sons graves qui ne soient longs: ce qui ne vient cependant pas de la nature du grave, car les Anglais ont des graves brefs. On a imaginé, pour marquer les brèves, de redoubler la consonne qui suit la voyelle; mais l'emploi de cette lettre oisive n'est

pas fort conséquent on la supprime quelquefois par respect pour l'étymologie, comme dans comète et prophète ; quelquefois on la redouble malgré l'étymologie, comme dans personne, honneur et couronne; d'autres fois on redouble la consonne après une longue, flämme, mānne, et l'on n'en met qu'une après une brève, dåme, råme, rime, průne, etc. La superstition de l'étymologie fait dans son petit domaine autant d'inconséquences, que la superstition proprement dite en fait en matière plus grave. Notre orthographe est un assemblage de bizarreries et de contradictions.

Le moyen de marquer exactement la prosodie, serait d'abord d'en déterminer les signes, et d'en fixer l'usage, sans jamais en faire d'emplois inutiles: il ne serait pas même ́nécessaire d'imaginer de nouveaux signes.

Quant aux accents, le grave et l'aigu suffiraient, pourvu qu'on les employât toujours pour leur valeur.

A l'égard de la quantité, le circonflexe ne se mettrait que sur les longues décidées; de façon que toutes les voyelles qui n'auraient pas ce signe, seraient censées brèves ou moyennes. On pourrait même, en simplifiant, se borner à marquer d'un circonflexe les longues qui ne sont pas graves, puisque tous nos sons graves étant longs, l'accent grave suffirait pour la double fonction de marquer à la fois la gravité et la longueur : ainsi on écrirait àge, fète, cote, jeùne, et gite, flute, voûte, etc.

L'é fermé conserverait l'accent aigu partout où il n'est pas long; il ne serait pas même besoin de substituer le circonflexe à l'aigu sur l'é fermé final au pluriel. Pour ne pas se tromper à la quantité, il suffit de retenir pour règle générale que cet é fermé au pluriel est toujours long; exemples: les bontés, les beautés, etc.

Les sons ouverts brefs (ce qui n'a lieu que pour des e, tels que dans père, mère, frère, dans la première syllabe de netteté, fermeté, etc.) pourraient se marquer d'un accent perpendiculaire.

Il ne resterait plus qu'à supprimer l'aspiration H partout où la voyelle n'est pas aspirée, comme les Italiens l'ont fait. Leur orthographe est la plus raisonnable de toutes.

Cependant, quelque soin qu'on prît de noter notre prosodie, outre le désagrément de voir une impression hérissée de signes, je doute fort que cela fût d'une grande utilité. Il y a des choses qui ne s'apprennent que par l'usage; elles sont purement organiques, et donnent si peu de prise à l'esprit, qu'il serait impossible de les saisir par la théorie seule, qui même est fautive dans les auteurs qui en ont traité expressément. Je sens même que ce que j'écris ici est très-difficile à faire entendre, et qu'il serait très-clair, si je m'exprimais de vive voix.

Les Grammairiens, s'ils veulent être de bonne foi, conviendront qu'ils se conduisent plus par l'usage que par leurs règles, que je connais peut-être comme eux, et il s'en faut bien qu'ils aient présent à l'esprit tout ce qu'ils ont écrit sur la Grammaire; quoiqu'il soit utile que ces règles, c'est-àdire, les observations sur l'usage, soient rédigées, écrites et consignées dans les méthodes analogiques. Peu de règles, beaucoup de réflexions, et encore plus d'usage, c'est la clef de tous les arts. Tous les signes prosodiques des anciens, supposé que l'emploi en fût bien fixé, ne valaient pas encore l'usage.

On ne doit pas confondre l'accent oratoire avec l'accent prosodique. L'accent oratoire influe moins sur chaque syllabe d'un mot, par rapport aux autres syllabes, que sur la phrase entière par rapport au sens et au sentiment: il modifie la substance même du discours, sans altérer sensiblement l'accent prosodique. La prosodie particulière des mots d'une' phrase interrogative, ne diffère pas de la prosodie d'une phrase affirmative, quoique l'accent oratoire soit très-différent dans l'une et dans l'autre. Nous marquons dans l'écriture l'interrogation et la surprise; mais combien avonsnous de mouvements de l'âme, et par conséquent d'inflexions oratoires, qui n'ont point de signes écrits, et que l'intelligence et le sentiment peuvent seuls faire saisir! Telles sont les inflexions qui marquent la colère, le mépris, l'iro nie, etc., etc. L'accent oratoire est le principe et la base de la déclamation.

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