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l'occasion des impressions sensibles des objets extérieurs, ou à l'occasion de quelque affection intérieure, nous nous formons par réflexion un concept singulier, que nous détachons de tout ce qui peut nous avoir donné lieu de le former : nous le regardous à part, comme s'il y avait quelque objet réel qui répondit à ce concept, indépendamment de notre manière de penser. Et parce que nous ne pouvons faire connaître aux hommes notre pensée autrement que par la parole, cette nécessité, et l'usage où nous sommes de donner des noms aux objets réels, nous ont portés à en donner aussi aux objets métaphysiques dont nous parlons; et ces noms n'ont pas peu contribué à nous faire distinguer ces concepts. Par exemple, le sentiment uniforme que tous les objets blancs excitent en nous, nous a fait donner le même nom qualificatif à chacun de ces objets nous disons de chacun d'eux en particulier qu'il est blanc; ensuite, pour marquer le point selon lequel tous ces objets se ressemblent, nous avons inventé le mot blancheur. Or, il y a en effet des objets tels, que nous appelons blancs; mais il n'y a pas hors de nous-mêmes un objet qui soit la blancheur. Ainsi la blancheur n'est qu'un terme abstrait c'est le produit de notre réflexion à l'occasion de l'uniformité des impressions différentes par leur cause particulière, et uniformes par leur espèce. »

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« On a commencé par faire des observations sur l'usage, le service ou l'emploi des mots; ensuite on a inventé le mot de Grammaire. Ainsi Grammaire est comme le centre ou point de réunion auquel on rapporte les différentes observations que l'on a faites sur l'emploi des mots. Mais Grammaire n'est qu'un terme abstrait; c'est un nom métaphysique et d'imitation: il n'y a pas hors de nous un être réel qui soit la Grammaire, il n'y a que des grammairiens qui observent. Il en est de même de tous les noms de sciences et d'arts, aussi bien que des noms des différentes parties de ces sciences et de ces arts.

Les noms des objets réels sont les premiers noms, les vrais noms: ce sont, pour ainsi dire, les aînés d'entre les noms; les autres, qui n'énoncent que des concepts de notre esprit, ne sont noms que par imitation, par adoption: ce sont les

noms de nos concepts métaphysiques. Ainsi les noms des objets réels, comme soleil, lune, terre, pourraient être appelés noms physiques, et les autres pourraient être appelés noms métaphysiques.

<< Comme il n'y a en ce monde que des êtres réels, il n'a pas été possible que chacun de ces êtres eût un nom propre ; on a donné un nom commun à tous les individus qui se ressemblent. Ce nom commun est appelé nom d'espèce, parce qu'il convient à chaque individu d'une espèce. Homme est le nom commun ou d'espèce dans ces phrases: Pierre est homme, Paul est homme, Alexandre et César étaient hommes. En ce sens, le nom d'espèce n'est qu'un nom adjectif, comme beau, bon, vrai; et si on regarde l'homme sans en faire aucune application particulière, alors l'homme est pris dans un sens abstrait, et devient un individu spécifique; c'est par cette raison qu'il reçoit l'article: c'est ainsi qu'on dit, le beau, le bon, le vrai.

<< On ne s'en est pas tenu à ces noms simples, abstraits, spécifiques : d'homme on a fait humanité, de beau, beauté; ainsi des autres. >>

Les philosophes scholastiques ont appelé concrets les noms que M. Du Marsais appelle individus spécifiques, tels que l'homme, le beau, le vrai. « Ce mot concret vient du latin concretus, et signifie qui croît avec, composé de, formé de, parce que ces concrets sont formés des noms que les scholastiques appellent abstraits; tels sont, humanité, beauté, bonté, vérité: ils ont dit humanité, de là homme; de même ils ont dit beauté, et ensuite beau. Mais ce n'est pas ainsi que la nature nous instruit, elle ne nous montre d'abord que le physique. Nous avons commencé par voir des hommes avant que de comprendre et de nous former le terme abstrait humanité; nous avons été touchés du beau et du bon, avant que d'entendre et de faire les mots de beauté et de bonté; les hommes ont été pénétrés de la réalité des choses, et ont senti une persuasion intérieure, avant que d'introduire le mot vérité; ils ont voulu avant que de dire qu'ils avaient une volonté, etc.

«Il ne faut pas confondre l'adjectif avec le nom substantif qui énonce une qualité, comme blancheur, étendue; l'adjectif

qualifie un substantif; c'est le substantif même considéré comme étant tel: magistrat équitable. Ainsi l'adjectif n'existe dans le discours que relativement au substantif qui en est le support, et auquel il se rapporte par l'identité; au lieu que le substantif qui exprime une qualité, est un terme abstrait et métaphysique, qui énonce un concept particulier de l'esprit qui considère la qualité, indépendamment de toute application particulière, et comme si le mot était le nom d'un être réel, et subsistant par lui-même, tels sont: couleur, étendue, équité, etc. Ce sont des noms substantifs par imitation. >>

Le même M. Du Marsais, au mot adjectif, s'exprime ainsi : << Nous ne connaissons point les substances en elles-mêmes, nous ne les connaissons que par les impressions qu'elles font sur nos sens, et alors nous disons que les objets sont tels selon le sens que ces impressions affectent. Si ce sont les yeux qui sont affectés, nous disons que l'objet est coloré, qu'il est ou blanc ou noir, ou rouge ou bleu, etc. Si c'est le goût qui est affecté, le corps est doux ou amer, ou aigre ou fade, etc. Si c'est le tact, l'objet est ou rude ou poli, ou dur ou mou, ou gras ou sec, etc. Ainsi ces mots blanc, noir, rouge, bleu; doux, amer, aigre, fade, etc., sont autant de qualifications que nous donnons aux objets, et sont par conséquent autant de noms adjectifs; et parce que ce sont les impressions que les objets physiques font sur nos sens, qui nous font donner à ces objets les qualifications dont nous venons de parler, nous appellerons ces sortes d'adjectifs, adjectifs physiques.

« Il y a outre cela les adjectifs métaphysiques, qui sont en très-grand nombre, et dont on pourrait faire autant de classes différentes qu'il y a de sortes de vues sous lesquelles l'esprit peut considérer les êtres physiques ou les êtres métaphysiques. << Comme nous sommes accoutumés à qualifier les êtres physiques en conséquence des impressions immédiates qu'ils font sur nous, nous qualifions aussi les êtres métaphysiques et abstraits en conséquence de quelques considérations de notre esprit à leur égard.

« Les adjectifs qui expriment ces sortes de vues ou considérations sont les adjectifs métaphysiques, ils désignent un rapport et non une qualité physique et permanente.

« Un nom est adjectif, quand il qualifie un substantif. Or, qualifier un nom substantif, ce n'est pas seulement dire qu'il est rouge ou bleu, grand ou petit, c'est en fixer l'étendue, la. valeur, l'acception, étendre cette acception ou la restreindre, en sorte pourtant que toujours l'adjectif et le substantif pris ensemble ne présentent qu'un même objet à l'esprit ; au lieu que si je dis liber Petri, Petri sixe à la vérité l'étendue de la signification de liber, mais ces deux mots présentent à l'esprit deux objets différents, dont l'un n'est pas l'autre : au contraire, quand je dis le beau livre, il n'y a là qu'un objet réel, mais dont j'énonce qu'il est beau. Quand je dis meus ensis, meus est autant simple adjectif qu'Evandrius dans ce vers de Virgile (1):

Non tibi, Timbre, caput Evandrius abstulit ensis.

Meus marque l'appartenance par rapport à moi, comme Evandrius la marque par rapport à Evandre. L'adjectif et le substantif mis ensemble en construction, ne présentent à l'esprit qu'un seul et même individu, ou physique, ou métaphysique ainsi l'adjectif n'étant que le substantif même, considéré avec la qualification que l'adjectif énonce, ils doivent avoir l'un et l'autre les mêmes signes des vues particulières sous lesquelles l'esprit considère la chose qualifiée. Parle-t-on d'un objet singulier? l'adjectif doit avoir la terminaison destinée à marquer le singulier. Le substantif est-il de la classe des noms qu'on appelle masculins? l'adjectif doit avoir le signe destiné à marquer les noms de cette classe. Enfin y a-t-il dans une langue une manière établie pour marquer les rapports ou points de vues qu'on appelle cas? l'adjectif doit encore se conformer ici au substantif. En un mot, il doit énoncer les mêmes rapports et se présenter sous les mêmes faces que le substantif, parce qu'il n'est qu'un avec lui. C'est ce que les Grammairiens appellent la concordance, qui n'est fondée que sur l'identité physique de l'adjectif avec le substantif. »

S'il y a des adjectifs qui marquent l'appartenance sans marquer l'identité physique, il s'ensuit que la concordance n'est pas fondée uniquement sur cette identité, comme le (1) En. x, v. 394.

prétend M. Du Marsais. Or, dans ces expressions meus liber, Evandrius ensis, meus marque l'appartenance du livre à moi, Evandrius marque l'appartenance de l'épée à Evandre: ces deux mois meus liber, et ces deux autres Evandrius ensis, présentent à l'esprit deux objets divers, dont l'un n'est pas l'autre; et bien loin de désigner l'identité physique, ils indiquent au contraire une vraie diversité physique. Meus liber équivaut à liber mei, Bíbλos poũ, le livre de moi; Evandrius ensis équivaut à ensis Evandri, l'épée d'Evandre. Par conséquent le sentiment qui fonde la concordance sur l'identité physique n'est pas exact, et M. Du Marsais n'a point tant à se glorifier d'en être l'auteur. Encore s'il eût dit que la concordance est fondée sur l'identité physique ou métaphysique, il aurait rendu ce sentiment probable : ce n'est pas moi qui suis une même chose avec mon livre, c'est la qualité d'ètre à moi, c'est la propriété de m'appartenir, qui est une même chose avec mon livre; de même ce n'est pas Evandre qui est une même chose avec son épée, mais c'est la qualité d'être à Evandre. On peut soutenir qu'il y a rapport d'identité métaphysique entre la qualité d'appartenir et la chose appartenante; mais on ne prouvera jamais, ce me semble, qu'il puisse s'y trouver un rapport d'identité physique, puisque l'appartenance n'est qu'une qualité métaphysique.

Est-il bien vrai que le substantif ne soit proprement rien, et que l'adjectif soit tout, comme l'a avancé l'auteur de da Lettre sur les sourds et muets, page 4? Peut-on dire que ce qui fait connaître la chose soit tout, et que la chose elle-même ne soit rien?

M. l'abbé Girard (1) ne regarde comme noms que les substantifs, qu'il partage en deux classes, l'une des génériques, et l'autre des individuels.

«Les substantifs géneriques dénomment, ou les substances, ou les modes, ou les actions; et ils se subdivisent en appellatifs, en abstractifs, et en actionnels: royaume, humanité, approbation.

«Les substantifs individuels se subdivisent en trois ordres,

(1) Vrais principes de la langue française, tome I, pages 45, 217.

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