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Si M. l'abbé Girard avait bien discuté ce chapitre, il y aurait vu la réponse à presque toutes ses objections. Lorsque cet académicien, dans ses Vrais Principes (1), combat le sentiment de MM. de Port-Royal, qui croient que le verbe exister ne marque aucune action, il me semble qu'il a tort d'appuyer l'opinion contraire sur ce que ces Messieurs disent dans leur Théologie, que l'existence de Dieu est un acte pur; car ils n'ont jamais prétendu que l'existence de Dieu fût le terme ou l'effet d'une action dans Dieu. Ils savaient trop bien que l'action suppose nécessairement l'existence; que l'on conçoit celle-ci avant celle-là ; que si l'existence de Dieu était l'effet d'une action, il faudrait concevoir l'action avant l'existence, parce que la cause se connaît avant l'effet.

Qu'ont-ils donc entendu par cette expression? le voici, ce me semble l'existence de Dieu est un acte pur, par opposition à l'existence des créatures, qui est acte et puissance : acte par rapport à ce qu'elles ont actuellement, ce qui est bien peu de chose; puissance par rapport à ce qu'elles peuvent avoir, ce qui est infiniment plus considérable. A leur égard, le passé n'est plus, l'avenir n'est pas encore, le présent seul est actuellement. Et qu'est-ce que ce présent? un instant indivisible, un infiniment petit. Dieu au contraire est actuellement tout ce qu'il peut être, il a actuellement tout ce qu'il peut avoir, il ne peut rien perdre ni rien acquérir, parce qu'il n'y a en lui ni passé, ni futur, et que tout y est actuellement présent par où on voit clairement que Dieu ne doit pas son existence à une action dont il ne s'agit nullement ici, et qu'il serait même ridicule d'admettre, parce que l'existence d'un être est toujours conçue avant son action, et doit la précéder.

Quant à ce que M. l'abbé Girard ajoute, que « dans les créatures l'existence est l'effet d'une action, qui dans le premier instant s'appelle création, et dans les moments suivants conservation ou création continuée, » il est vrai que la créature n'existe point sans cette action de Dieu, mais il est faux que le verbe exister marque cette action: il ne nous représente que le terme de l'action, et non l'action elle-même; il nous montre ce qui est dans la chose créée, et non pas ce qui est (1) Tome I, page 53.

dans Dieu; enfin il renferme plutôt une situation-ou une passion qu'une action d'où il est aisé de conclure que M. l'abbé Girard fait de vains efforts pour prouver qu'il y a quelque contradiction entre les opinions théologiques de MM. de Port-Royal, et leur système sur la Grammaire.

Les autres exemples que cet académicien a choisis ne sont pas plus heureux, et ne font pas plus contre ce système que les précédents. Quoique l'éclat de la lumière, dans le corps qui reluit, suppose un mouvement subit, et non interrompu, produit par l'action du soleil, on ne peut pas dire que le verbe reluire marque cette action; il n'en est que l'effet qui la suppose, il désigne seulement l'état d'un corps qui reçoit la lumière du soleil.

Quoiqu'on ne puisse se reposer ou être en repos, sans avoir passé de l'état de mouvement à celui de tranquillité ; quoique ce changement d'état ne puisse se faire sans évènement, l'idée que l'on attache au mot reposer, n'est pas celle de ce passage ou de ce changement arrivés avant le repos, mais c'est uniquement celle de l'état d'une chose qui a cessé d'être en mouvement.

De ce qu'il y a des mots qui ne sont point des verbes, quoiqu'ils signifient des actions, des passions et des choses passagères ou des évènements, tels que course, écoulement, est-ce une conséquence que l'action ou l'évènement ne constitue point l'essence du verbe? Non, ce n'est pas une conséquence, il faut l'avouer de bonne foi à M. l'abbé Girard; car, quoique les mots affirmant, affirmatif, affirmation, assertion, signifient l'affirmation, il ne s'ensuit pas qu'ils soient verbes. Quel avantage ce subtil grammairien.tirera-t-il de cet aveu? La différence qu'il y a entre course, écoulement et les mots je cours, je coule, c'est que les premiers ne signifient que l'action, et ne la signifient que comme conçue par mon esprit ou comme objet de ma pensée, au lieu que les seconds signifient l'affirmation de l'action, c'est-à-dire, l'action comme produite, comme affirmée par mon esprit, ou comme manière commode de ma pensée. La différence qu'il y a aussi entre le mot affirmation et le mot j'affirme, c'est que le premier ne signifie qu'une affirmation simplement comme conçue par

mon esprit, ou comme objet de ma pensée, et c'est un nom; le second signifie une double affirmation, l'une comme conçue, et l'autre comme produite par mon esprit et comme manière de ma pensée, et c'est un verbe. Il n'en est pas moins vrai que l'affirmation est la seule chose essentielle au verbe, et que l'action qui lui est souvent jointe ne lui est qu'accidentelle. C'est ce qu'aurait reconnu M. l'abbé Girard (1), s'il eût conçu plus nettement la valeur de l'idée objective et de l'idée modificative des mots.

Voici une autre objection à laquelle M. l'abbé Girard dit qu'il ne voit point de réplique :

«S'il y a des mots qui soient de vraies affirmations sans être verbes, il s'ensuit que ce n'est pas dans l'affirmation que consiste l'essence du verbe; or la chose est certaine : tels sont en bonne Grammaire, oui et non. »

Ailleurs il dit que oui et non (2), dans une réponse, supposent tout ce qui a été énoncé dans la demande.

Faisons voir la réplique, attaquons à notre tour, et servonsnous du même raisonnement que M. l'abbé Girard a essayé de faire valoir (3): le trait sera plus offensif contre lui qu'il ne l'a été contre nous. Je dis donc à son imitation: S'il y a des mots qui signifient la dénomination, la qualification, l'action même ou l'évènement, etc., et si ces mots ne sont ni substantifs, ni adjectifs, ni verbes, etc., il s'ensuit que ce n'est pas dans la dénomination que consiste l'essence du substantif, ni dans la qualification que consiste l'essence de l'adjectif, ni dans l'action ou l'évènement que consiste l'essence du verbe, etc., comme M. l'abbé Girard le prétend. Or, tels sont en bonne Grammaire, et même en bonne logique, oui et non, puisqu'ils équivalent à un sujet, à un attribut, à un verbe, à un régime, etc., réunis, c'est-à-dire, à une proposition ou à une phrase entière.

Si M. l'abbé Girard avait lu avec moins de prévention le 17° et 19° chapitre de la seconde partie de la Grammaire générale, il y aurait trouvé des réflexions aussi judicieuses que sa

(1) Tome I, pages 54 et 62,

(2) Tome II, page 119.

(3) Tome I, page 56.

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vantes, qui l'auraient peut-être convaincu que tous les modes du verbe, sans en excepter l'infinitif, signifient l'affirmation, ou simple, ou modifiée, ou définie, ou indéfinie. Le gérondif même, ainsi que le participe, signifie quelquefois l'affirmation modifiée ; par exemple, en forgeant on devient forgeron, c'està-dire, à mesure que l'on forge, etc. ; en me parlant il pensait à autre chose, c'est-à-dire, lorsqu'il me parlait, etc. ; je vous le dirai en allant, c'est-à-dire, pendant que j'irai ou que nous irons; ayant tant d'esprit, comment ne concevez-vous pas cela? c'est-à-dire, puisque vous avez tant d'esprit.

Selon le P. Buffier (1), quelques nations ne conjuguent presque point leurs verbes ; et au lieu de dire, je fais, il fait, nous faisons, elles disent souvent, moi faire, lui faire, nous faire.

Selon M. Boindin, dans ses Remarques sur le livre de M. de Maupertuis, intitulé Réflexions philosophiques sur l'origine des langues et la signification des mots (2), la langue franque n'emploie que des infinitifs avec un pronom personnel et un adverbe de temps pour désigner le présent, le passé et le futur, pendant que les langues cultivées et perfectionnées expriment le personnel, le nombre et le temps par les différentes inflexions du verbe. Cette langue, que parlent les diverses nations chrétiennes qui voyagent en Turquie et dans les échelles du Levant, a pour base un italien corrompu: ses verbes n'ont pour tout temps que le présent de l'infinitif, dont les autres termes de la phrase modifient la signification. Ainsi, je t'aime, je t'aimais, je t'aimerai, c'est en langue franque, mi amarti; tous ont chanté, que chacun chante, tous chanteront, tutti cantara.

On n'est donc pas fondé à dire que le verbe ne sert à exprimer l'affirmation qu'à l'indicatif, et nullement aux autres modes; il y a donc un grand faible dans les raisonnements que le P. Buffier lui-même, M. l'abbé Regnier et M. l'abbé Girard (3) font pour détruire la définition que l'illustre auteur de la Grammaire raisonnée donne du verbe. Son système, loin

(1) No 141.

(2) Tome II, page 68. (3) Tome I, page 62.

d'être contradictoire à l'usage, y est donc exactement conforme; et si M. Restaut est répréhensible, ce n'est pas d'avoir suivi ce système, mais c'est seulement de ne l'avoir peut-être pas encore assez approfondi, ni assez bien développé, ni assez bien soutenu.

L'auteur de la Logique ou l'Art de penser (1), s'exprime ainsi: « Ce que j'ai dit des noms et des pronoms, je l'ai emprunté d'un petit livre intitulé Grammaire générale et raisonnée, à l'exception de quelques points que j'ai expliqués d'une autre. manière; mais en ce qui regarde le verbe, je ne ferai que transcrire ce que ce livre en dit, parce qu'il m'a semblé qu'on n'y pouvait rien ajouter. »

Le P. Lami, dans la Rhétorique ou l'Art de parler, dit : « Les verbes, comme l'auteur de la Grammaire générale et raisonnée l'a judicieusement remarqué, sont des mots qui si→ gnifient l'affirmation. >>

Dans un ouvrage intitulé: Véritables principes de la Grammaire, ou Nouvelle Grammaire raisonnée pour apprendre le latin, M. Du Marsais, à la fin de la préface, ou de l'exposition de sa méthode (2), définit le verbe, un mot par lequel on pense, on juge une chose d'une autre. Quand je pense que la terre est ronde, dit-il, c'est un jugement ; quand je le dis, c'est une proposition. Dans l'Encyclopédie, au mot construction, voici comme il s'explique à ce sujet :

« Juger, c'est penser qu'un objet est de telle ou telle façon, c'est affirmer ou nier, c'est décider relativement à l'état où l'on suppose que les objets sont en eux-mêmes... Toutes les propositions exprimées par le mode indicatif énoncent autant de jugements: je chante, je chantais, j'ai chanté, j'avais chanté, je chanterai. Toutes les propositions exprimées par les autres modes des verbes, n'énoncent que certaines vues de l'esprit ; elles ne renferment point de décision qui affirme ou qui nie relativement à l'état positif de l'objet. Quand je dis soyez sage, je ne fais que dire ce que je veux que vous soyez, l'action de mon esprit n'a que cela pour objet, et non d'énon

(1) Seconde partie, chapitre II, page 102.

(2) Imprimée à Paris en 1722, chez Ganeau, Quiliau et Desaint, page 25 de la Syntaxe.

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