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çant; par conséquent, M. Pluche a eu tort de dire qu'en traduisant, puis en accusant l'état et l'emploi de chaque terme, il ne faut jamais toucher à l'ordre général de la phrase latine.

Les maîtres habiles, dans leurs leçons de vive voix, suivent la traduction littérale, telle qu'elle est publiée dans la Méthode raisonnée, pour faciliter les répétitions aux jeunes gens, et pour leur donner une connaissance plus parfaite du latin.

Il n'y a pas lieu de craindre que cette façon d'expliquer ap-. prenne à mal parler français.

1° Plus on a l'esprit juste et net, mieux on écrit et mieux on parle or, il n'y a rien qui soit plus propre à donner aux jeunes gens de la netteté et de la justesse d'esprit, que de les exercer à la traduction littérale, parce qu'elle oblige à la précision, à la propriété des termes, et à une certaine exactitude qui empêche l'esprit de s'égarer ou de passer à des idées étrangères.

2o La traduction littérale fait sentir la différence des deux langues, elle fait connaître le génie de la langue latine; ensuite l'usage, mieux que le maître, apprend le tour de la langue française; et plus le tour latin est éloigné du tour français, moins il est à craindre qu'on ne l'imite dans le discours.

3o En traduisant littéralement, on ne fait dire le mot français qu'après le mot latin: ainsi le mauvais tour français étant interrompu et lié au latin, il ne peut pas être porté dans la conversation ordinaire.

Je sais bien que la langue latine ne serait plus reconnaissable, si on la dépouillait de son habit pour la revêtir de celui de la langue française ; je sais bien aussi que, pour faire entendre la façon de s'habiller des étrangers, le plus court est de faire voir leur habillement tel qu'il est, et non pas d'habiller un étranger à la française. Il ne faut pas détruire cet habillement, mais il en faut montrer les parties, et la manière dont elles sont assorties, assemblées, construites: d'où je conclus que la meilleure manière pour apprendre, les langues étrangères, c'est de s'instruire du tour original, ce qu'on ne peut faire que par la construction grammaticale et par la traduction littérale.

Quand les mots sont trouvés, dit M. Du Marsais, quand leur valeur, leur destination, leur emploi, sont déterminés par l'usage, l'arrangement que l'on en fait dans la proposition selon l'ordre successif de leurs relations, est la manière la plus simple d'analyser la pensée. Il y a des Grammairiens, continue-t-il, dont l'esprit est assez peu philosophique pour désapprouver cette manière de faire la construction, comme si cette pratique avait d'autre but que d'éclairer le bon usage et de le faire suivre avec plus de lumière, et par conséquent avec plus de goût; au lieu que sans cela on n'a que des observations mécaniques qui ne produisent qu'une routine aveugle, et dont il ne résulte aucun gain pour l'esprit.

Nous ne pouvons faire usage des inversions, ajoute-t-il, que quand elles sont aisées à ramener à l'ordre significatif de la construction simple; c'est uniquement relativement à cet ordre, que quand il n'est pas suivi, on dit en toute langue qu'il y a inversion, et non pas par rapport à un prétendu ordre d'intérêt ou de passion, qui ne saurait jamais être un ordre certain. Incerta hæc si tu postules ratione certâ facere, nihilo plus agas quàm si des operam ut cum ratione insanias (1).

En latin, il est indifférent de placer le terme du rapport avant ou après le verbe ; cela dépend du goût, du caprice, de l'harmonie, du concours plus ou moins agréable des syllabes, des mots, qui précèdent ou qui suivent.

L'inversion latine est ce qui donne le plus de peine aux jeunes gens, ils sont accoutumés à rendre leurs pensées et à entendre celles des autres selon l'ordre naturel, que la langue française suit presque toujours: ainsi, quand cet ordre est renversé, ils ne conçoivent point le sens de la phrase, lors même qu'ils entendent la signification de tous les mots (2) (3).

L'arrangement des mots français fait entendre en quel sens ils sont pris, au lieu que c'est la terminaison des mots latins qui détermine le rapport sous lequel ils doivent être considérés ; c'est ce qui fait qu'en latin les mots se trouvent souvent

(1) Térence, Eunuch, acte I, scène I.

(2) Du Marsais, Encyclopédie.
(3) M. le Fèvre, Méth. des hum., page 52.

fort éloignés de leur régime naturel. Il en est de même en grec.

La méthode de faire expliquer les auteurs latins avec leurs inversions, ne peut que rebuter le disciple, qui n'est point accoutumé à connaître le sens d'un mot par la seule terminaison; il ne saurait démêler au milieu d'une phrase le mot qu'il doit prononcer le premier; c'est ce que l'expérience ne confirme que trop. Un jour se passe à expliquer dix ou douze petites lignes, et on les oublie le lendemain. L'organe, pour ainsi dire, de la raison n'est pas plus proportionné à cet exercice dans les enfants, que le sont leurs bras à lever de certains fardeaux.

Pour faire plus tôt contracter l'habitude de sentir le mot latin par la seule terminaison, et pour mettre à profit les premières années, temps si favorable aux provisions, on retranche toute la difficulté en faisant expliquer les auteurs suivant la construction simple et sans aucune inversion; on met en italiques, sous chaque mot latin, le mot français qui y répond. Par cette méthode les enfants n'ont que la simple signification des mots à retenir, et ils la retiennent sans peine quand ils lisent, parce que leur imagination est soutenue par le caractère différent.

. D'ailleurs, lorsque l'explication est écrite, chacun se fait répéter à soi-même autant de fois que sa mémoire en a besoin, et toujours d'une manière uniforme; au lieu que quand on entend expliquer simplement de la voix, et souvent de différentes façons, il n'y a que ceux qui ont autant de mémoire que d'attention, qui puisse retenir ce qu'on explique. Il faut pourtant convenir que les leçons vives et animées d'un maître intelligent et zélé s'insinuent bien mieux dans les esprits, et leur font faire des progrès bien plus prompts et bien plus solides que l'interprétation languissante et monotone des versions interlinéaires.

Dans la traduction littérale, on exprime tous les mots sousentendus. Si l'on ajoutait ces mots de son propre génie, pour faire une langue selon ses idées, la méthode, quelque raisonnée qu'on la supposât, ne mériterait aucune attention; mais on n'y supplée un mot latin dans un passage où il manque, que parce qu'il est exprimé dans un autre tout pa

reil, et dans le même sens; de la sorte on explique la langue latine par la langue latine même, et par conséquent par ses véritables principes.

Le langage n'est que l'expression de la pensée: il y a essentiellement dans le discours, de quelque assemblage de sons dont il puisse être composé, un certain ordre qui a été dans l'esprit de la personne qui parle, ordre auquel son discours peut toujours être réduit. Le besoin ou la commodité d'abréger, et plus encore l'empressement de l'imagination à rendre ses pensées, ont fait dire en un mot ce qui se disait ou se pouvait dire en plusieurs.

C'est pourquoi les règles de la construction raisonnée sont très-simples et conviennent essentiellement à toutes les langues, qui ne diffèrent entre elles que par ce qu'il y a d'arbitraire. Pourvu que l'on fasse observer les occasions où l'usage a voulu que certains mots fussent supprimés, cette conduite n'induit personne en erreur; au contraire elle éclaire l'esprit et lui épargne bien de la peine, parce qu'elle réduit tout à une règle uniforme, et présente toujours le latin dans le même ordre.

Les passions des hommes et leur imagination se trouvent essentiellement dans toutes les nations; mais cette uniformité générale a une variété infinie dans la route que les passions prennent pour se satisfaire, et dans le tour que l'imagination suit pour s'exprimer. Quand le feu prend à une maison, en quelque lieu du monde que ce puisse être, on est agité et l'on songe à s'en garantir : voilà l'uniformité; mais les uns crient au feu, comme en France, et les autres crient à l'eau, comme dans l'ancien pays latin, clamare aquas (1): voilà la variété. La morale des proverbes est la même partout, mais elle est représentée sous des images diverses.

Les différents tours que les peuples différents ont pris pour s'exprimer, sont soumis à ces deux règles souveraines d'uniformité et de variété : il y a uniformité dans l'essentiel de la pensée, et variété dans le tour de l'expression.

Tous les hommes du monde qui penseront que Dieu a créé le ciel et la terre, regarderont Dieu comme agent, et le ciel

(1) Properce.

ou la terre comme patient ou terme de l'action de Dieu : voilà l'uniformité; mais ils se serviront de sons différents pour exprimer le nom de Dieu et le nom du ciel et de la terre ; ils marqueront encore d'une manière différente le rapport sous lequel ils regardent Dieu en cette occasion, et le rapport sous lequel ils considèrent le ciel et la terre voilà la variété.

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Les idées abstraites ne sont appelées ainsi que parce qu'elles sont tirées des idées particulières : les abstraites supposent done les particulières, il faut donc imprimer les unes avant que de faire aucune mention des autres: sans cette méthode, l'esprit le plus sublime ne comprend rien, et avec elle un esprit médiocre conduit ses connaissances au-delà même de sa portée. Que le théologien ou l'astronome le plus profond, qui n'auraient aucune connaissance du palais, entendent parler d'appointement ou de requête civile, ou de termes encore plus simples, ils seront bien moins au fait que le moindre petit praticien. Telle est la nature de l'esprit humain, les connaissances ne se devinent point; notre esprit ne se les donne pas plus à lui-même, que les cordes d'un instrument de musique ne se donnent l'ébranlement qui cause le son; ainsi il y a un ordre à observer dans l'acquisition des connaissances. Le grand point de la didactique, c'est-à-dire, de la science d'enseigner, c'est de savoir les connaissances qui doivent précéder et celles qui doivent suivre, et la manière dont on doit graver dans l'esprit les unes et les autres.

Les premières connaissances nouvelles que l'on veut donner aux enfants, et peut-être au reste des hommes, ne peuvent pas entrer dans leur esprit par la voie du raisonnement, puisque le raisonnement suppose des idées particulières; le sentiment seul en est la porte. Mais quand ces premières idées sont acquises, on peut, et souvent même on doit raisonner sur ces idées primitives; et pourvu que les raisonnements ne supposent point d'autres idées, on trouvera peu de personnes qui ne puissent facilement les concevoir.

Voilà l'ordre que M. Du Marsais et M. Rollin ont indiqué et suivi, l'un dans sa Méthode raisonnée, et l'autre dans son Traité des études. C'est aussi celui que j'ai tâché de suivre et

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