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sorte de raison. Ainsi les noms de chaque métal, or, argent, fer, n'en ont point en presque toutes les langues; dont la raison est, comme je pense, que la ressemblance si grande qui est entre les parties des métaux, fait que l'on considère d'ordinaire chaque espèce de métal, non comme une espèce qui ait sous soi plusieurs individus, mais comme un tout qui a seulement plusieurs parties: ce qui paraît bien en notre langue, en ce que, pour marquer un métal singulier, on ajoute la particule de partition, de l'or, de l'argent, du fer. On dit bien fers au pluriel, mais c'est pour signifier des chaînes, et non seulement une partie du métal appelé fer. Les Latins disent bien aussi æra, mais c'est pour signifier de la monnaie, ou des instruments à faire son, comme des cymbales. Et ainsi des autres.

CHAPITRE V.

Des Genres.

Comme les noms adjectifs de leur nature conviennent à plusieurs, on a jugé à propos, pour rendre le diseours moins confus, et aussi pour l'embellir par la variété des terminaisons, d'inventer dans les adjectifs une diversité selon les substantifs auxquels on les appliquerait.

Or les hommes se sont premièrement considérés euxmêmes; et ayant remarqué parmi eux une différence extrêmement considérable, qui est celle des deux sexes, ils ont jugé à propos de varier les mêmes noms adjectifs, y donnant diverses terminaisons, lorsqu'ils s'appliquaient aux hommes, ou lorsqu'ils s'appliquaient

aux femmes comme en disant: bonus vir, un bon homme; bona mulier, une bonne femme ; et c'est ce qu'ils ont appelé genre musculin et genre féminin• Mais il a fallu que cela ait passé plus avant. Car, comme ces mêmes adjectifs se pouvaient attribuer à d'autres qu'à des hommes ou à des femmes, ils ont été obligés de leur donner l'une ou l'autre des terminaisons qu'ils avaient inventées pour les hommes et pour les femmes d'où il est arrivé que par rapport aux hommes et aux femmes, ils ont distingué tous les autres noms substantifs en masculins et féminins: quelquefois par quelque sorte de raison, comme lorsque les offices d'hommes, rex, judex, philosophus, etc. (qui ne sont qu'improprement substantifs, comme nous avons dit) sont du masculin, parce qu'on sous-entend homo; et que les offices des femmes sont du féminin, comme mater, uxor, regina, etc., parce qu'on sous-entend mulier.

D'autres fois aussi par un pur caprice, et un usage sans raison : ce qui fait que cela varie selon les langues, et dans les mots même qu'une langue a empruntés d'une autre : comme arbor est du féminin en latin, et arbre, du masculin en français; dens masculin en latin, et dent féminin en français.

Quelquefois même cela a changé dans une même langue selon le temps: comme alrus était autrefois masculin en latin, selon Priscien, et depuis il est devenu féminin. Navire en français était autrefois féminin, et depuis il est devenu masculin.

Cette variation d'usage a fait aussi qu'un même mot étant mis par les uns en un genre, et par des autres en l'autre, est demeuré douteux : comme hic finis, ou hæc finis en latin, comme comté et duche en français.

Mais ce qu'on appelle genre commun n'est pas si

commun que les Grammairiens s'imaginent: car il ne convient proprement qu'à quelques noms d'animaux, qui en grec et en latin se joignent à des adjectifs masculins et féminins, selon qu'on veut signifier le mâle et la femelle, comme bos, canis, sus.

Les autres, qu'ils comprennent sous le nom de genre commun, ne sont proprement que des adjectifs qu'on prend pour substantifs, parce que d'ordinaire il subsistent seuls dans le discours, et qu'ils n'ont pas de différentes terminaisons pour être joints aux divers genres, comme en ont victor et victrix, victorieux et victorieuse ; rex et regina, roi et reine; pistor et pistrix, boulanger et boulangère, etc.

On voit encore par-là que ce que les Grammairiens appellent épicène, n'est point un genre séparé : car vulpes, quoiqu'il signifie également le mâle et la femelle d'un renard, est véritablement féminin dans le latin. Et de même une aigle est véritablement féminin dans le français, parce que le genre masculin ou féminin dans un mot ne regarde pas proprement sa signification, mais le dit seulement de telle nature, qu'il se doive joindre à l'adjectif dans la terminaison masculine ou féminine. Ainsi en latin, custodiæ, des gardes, ou des prisonniers; vigilia, des sentinelles, etc., sont véritablement fémi– nins, quoiqu'ils signifient des hommes. Voilà ce qui est commun à toutes les langues, pour le regard des genres.

Les Grecs et les Latins ont encore inventé un troisième genre avec le masculin et le féminin, qu'ils ont appelé neutre, comme n'étant ni de l'un ni de l'autre : ce qu'ils n'ont pas regardé par la raison, comme ils eussent pu faire, en attribuant le neutre aux noms de choses qui n'avaient nul rapport au sexe masculin ou féminin, mais par fantaisie, et en suivant seulement certaines terminaisons.

REMARQUES.

L'institution ou la distinction des genres est une chose purement arbitraire, qui n'est nullement fondée en raison, qui ne paraît pas avoir le moindre avantage, et qui a beaucoup d'inconvénients.

Les Grecs et les Latins en avaient trois; nous n'en avons que deux, et les Anglais n'en ont point dans les noms, ce qui, pour la facilité d'apprendre leur langue, est un avantage. Mais ils en ont trois au pronom de la troisième personne: he pour le masculin, she pour le féminin, des êtres animés ; et it, neutre, pour tous les êtres inanimés. Les genres sont utiles, dit-on, pour distinguer de quel sexe est le sujet dont on parle on aurait donc dû les borner à l'homme et aux animaux : encore une particule distinctive aurait-elle suffi; mais on n'aurait jamais dû l'appliquer universellement à tous les êtres. Il y a là-dedans une déraison, dont l'habitude seule nous empêche d'être révoltés.

Nous perdons par-là une sorte de variété qui se trouverait dans la terminaison des adjectifs, au lieu qu'en les féminisant, nous augmentons encore le nombre de nos e muets. Mais un plus grand inconvénient des genres, c'est de rendre une langue très-difficile à apprendre. C'est une occasion continuelle d'erreurs pour les étrangers et pour beaucoup de naturels d'un pays. On ne peut se guider que par la mémoire dans l'emploi des genres, le raisonnement n'y étant pour rien. Aussi voyons-nous des étrangers de beaucoup d'esprit, et très-instruits de notre syntaxe, qui parleraient très-correctement, sans les fautes contre les genres. Voilà ce qui les rend quelquefois si ridicules devant les sots, qui sont incapables de discerner ce qui est de raison d'avec ce qui n'est que d'un usage arbitraire et capricieux. Les gens d'esprit sont ceux qui ont le plus de mémoire dans les choses qui sont du ressort du raisonnement, et qui en ont souvent le moins dans les autres.

C'est ici une observation purement spéculative, car il ne s'agit pas d'un abus qu'on puisse corriger; mais il me semble

qu'on doit en faire la rèmarque dans une Grammaire philosophique.

CHAPITRE VI.

Des Cas et des Prépositions, en tant qu'il est nécessaire d'en parler pour entendre quelques Cas.

Si l'on considérait toujours les choses séparément les unes des autres, on n'aurait donné aux noms que les deux changements que nous venons de marquer; savoir du nombre pour toutes sortes de noms, et du genre pour les adjectifs; mais, parce qu'on les regarde souvent avec les divers rapports qu'elles ont les unes aux autres, une des inventions dont on s'est servi en quelques langues pour marquer ces rapports, a été de donner encore aux noms diverses terminaisons, qu'ils ont appelées des cas, du latin cadere, tomber, comme étant les diverses chutes d'un même mot.

Il est vrai que, de toutes les langues, il n'y a peutêtre que la grecque et la latine qui aient proprement des cas dans les noms. Néanmoins, parce qu'aussi il y a peu de langues qui n'aient quelques sortes de cas dans les pronoms, et que sans cela on ne saurait bien entendre la liaison du discours, qui s'appelle construction, il est presque nécessaire, pour apprendre quelque langue que ce soit, de savoir ce qu'on entend par ces ́ cas: c'est pourquoi nous les expliquerons l'un après l'autre le plus clairement qu'il nous sera possible.

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