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jours écrivant, toujours combattant avec une ardeur de jeunesse qui ne se ralentit jamais. Nicole, qui avait combattu sous ses drapeaux et qui avait partagé toutes ses tribulations, lui représentait un jour qu'il était las de guerroyer sans cesse et qu'il voulait enfin se reposer: « Vous reposer! reprit l'impétueux docteur. Eh! n'aurez-vous pas pour vous reposer l'éternité toute entière. » Le repos était un état violent pour cet athlète infatigable. Dans son exil, il soutint contre Mallebranche une lutte philosophique qui fut utile à la science, mais qui ne fut pas exempte d'acrimonie. Il est étonnant que cet homme illustre, qui avait des mœurs si simples et dont le commerce intime était si agréable, montrat dans sa polémique tant d'aigreur et de causticité. A part les jésuites, il semblait, dans ses écrits, oublier les personnes pour ne considérer que les choses. C'est pourquoi il écrivit, sans aucun scrupule, contre ses meilleurs amis, contre Pascal, Domat, Nicole, Mallebranche, etc., et contre Innocent XI, qui lui avait, dit-on, fait offrir un asile avec la pourpre.

La mort le saisit au milieu de ses luttes incessantes; il mourut à Bruxelles, le 8 août 1694, à l'âge de quatrevingt-trois ans.

Le jansénisme perdit dans Arnauld son chef et son représentant. Ce parti illustre qui avait pour princi-paux adversaires les jésuites, et pour centre d'opérations Port-Royal, qui comptait dans ses rangs les personnages les plus distingués du royaume, qui peut s'enorgueillir des noms de Pascal, de Sacy, de Nicole, de Boileau, de Racine, etc., ne s'était élevé qu'à l'occasion d'une question théologique, dénuée

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d'importance comme d'intérêt, et très peu digne d'occuper les esprits éminents qui combattirent dans les deux camps. Comment une cause si légère excita-telle tant de mouvement, d'animosité, de passions? Comment parvint-elle jusqu'à inspirer des craintes sérieuses au gouvernement d'alors? C'est que le jansénisme renfermait dans son sein autre chose qu'une opinion religieuse. Certainement peu importait à Boileau, à Racine, à Louis XIV lui-même, que les cinq propositions condamnées par la papamé fussent réellement contenues dans le livre de Jansenius. Je suis porté à croire que la plupart des partisans du jansénisme avaient là-dessus la même indifférence. Ce qui gagna à ce parti des prosélytes si illustres, et ce qui lui attira aussi tant de persécutions, c'est surtout l'esprit dont ce parti était animé. En effet, en dehors du côté religieux, ce qui le caractérise principalement, c'est l'indépendance qu'il montrait dans les discussions, c'est sa liberté de penser, sa hardiesse dans ses controverses et ses spéculations. Un gouvernement absolu ne devait s'arranger que très difficilement avec un pareil parti aussi ne faut-il pas s'étonner si l'autorité temporelle se concerta avec l'autorité spirituelle pour soutenir les jésuites contre les jansénistes qui attaquaient les décisions d'un pouvoir infaillible. Lorsque les jésuites accusèrent le jansénisme d'être le chemin qui conduit au calvinisme, ils formaient une accusation qui n'était pas dénuée de fondement. En effet, le jansénisme avait de commun avec le calvinisme cette liberté d'examen, cet esprit d'investigation, cette curiosité sans limite qui porte à sonder le fond des choses,

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à pénétrer les mystères les plus cachés, à secouer enfin les entraves qui peuvent être apportées au plein exercice de la raison.

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Le corps d'Arnauld fut enterré dans l'église de Sainte-Catherine, à Bruxelles; son cœur fut porté à Port-Royal, d'où il fut transféré à Palaiseau, en 1710. Une chose remarquable, c'est que Racine fut le seul qui osât se trouver à son convoi. Cependant les principaux écrivains du temps célébrèrent, par des vers, ses vertus et ses talents. Voici l'épitaphe que Boileau consacra à sa mémoire :*

Au pied de cet autel de structure grossière,
enfermé dans une vile bière,

Git sans pompe,

Le plus savant mortel qui jamais ait écrit ;

Arnauld, qui sur la grâce (1) instruit par Jésus-Christ,
Combattant pour l'église a, dans l'église même,

Souffert plus d'un outrage et plus d'un anathème.
Plein d'un feu qu'en son cœur souffla l'esprit Divin,

Il terrassa Pélage, il foudroya Calvin;

De tous les faux docteurs confondit la morale;
Mais, pour fruit de son zèle, on l'a vu rebuté,
En cent lieux opprimé par la noire cabale,
Errant, pauvre, banni, proscrit, pcrsécuté;
Et même par sa mort leur fureur mal éteinte
N'en eût jamais laissé les cendres en repos,
Si Dieu lui-même, ici, de son ouaille sainte,
A ces loups dévorants n'avait caché les os.

Santeuil et Racine lui firent aussi des épitaphes. On eût pu très bien lui appliquer celle de Trivulce: Hic quiescit, qui nunquàm quievit.

La vie de Claude Lancelot fut moins agitée que celle de son compagnon d'études. Il naquit à Paris en 1615. Il reçut, ainsi qu'Arnauld, les conseils de l'abbé de Saint-Cyran, qu'il aimait comme un père, et pour le

(1) La plupart des discussions qu'il eut avec Mallebranche et en faveu du jansénisme, roulèrent sur la grâce.

quel il professait la plus haute admiration. L'abbé de Saint-Cyran dont les relations et l'influence étaient très grandes, ayant eu le malheur de déplaire ou plutôt de porter ombrage au cardinal de Richelieu, fut arraché des solitudes de Port-Royal et enfermé au donjon de Vincennes, d'où il ne sortit que pour mourir peu de temps après. Lancelot partagea la disgrâce de son maître; il fut obligé de quitter Paris, de se déplacer plusieurs fois, jusqu'à ce qu'enfin la mort du ministre implacable eût fait luire pour lui des jours plus heureux. Dès qu'il put respirer en paix et se livrer en liberté à ses goûts d'études, il s'occupa de réaliser le projet formé par son maître et son directeur, d'établir un enseignement religieux, joint à des études solides de littérature et de philosophie. C'est alors que se formèrent les Ecoles de Port-Royal. Lancelot en fut le premier régent et Nicole le second. La direction générale, ainsi que le haut enseignement, fut confié à Arnauld et à Lemaître de Sacy. Leur collége était divisé en cinq classes. Chaque classe ne devait contenir que cinq étudiants, afin que le professeur pût répartir ses soins sur chacun des élèves, et que de cette manière l'instruction fût plus assurée. C'est dans ces Ecoles célèbres que s'inspira pour la première fois la muse de Racine, et que Lenain de Tillemont, fameux historien, puisa les premiers éléments de son immense érudition. C'est aussi de ces Ecoles que sortirent les méthodes si connues sous le nom de Port-Royal, méthodes vraiment nouvelles, dont le style a bien quelque peu vieilli, mais dont le fond défie encore le temps et continue à éclairer nos jeunes générations. Les Ecoles de Port

Royal s'étendaient à l'instruction des jeunes personnes. Celles-ci étaient înstruites par des religieuses dirigées elles-mêmes par les savants professeurs dont elles recevaient l'influence avec les lumières (1). Cette influence malheureusement causa leur perte. Elles épousèrent les querelles du temps; elles embrassèrent tout naturellement l'opinion de leurs directeurs; et faibles femmes, elles eurent la plus grande part des persécutions qui affligèrent les principaux partisants de Jansénius. Les Ecoles destinées aux jeunes gens furent fermées en 1660, par ordre du gouvernement; et l'abbaye où se tenaient celles des jeunes personnes, après avoir été plusieurs fois visitée, investie, forcée par les agents du pouvoir exécutif, fut enfin démolie de fond en comble, par arrêt du 22 janvier 1710.

Lancelot, après la dissolution des Ecoles qu'il avait établies, donna d'abord ses soins à l'éducation du jeune duc de Chevreuse; puis, par l'entremise de de Sacy, il fut chargé d'instruire, en qualité de précepteur, les deux jeunes fils du prince de Conti. Mais à la mort de la princesse, mère de ses élèves, il fut obligé de donner sa démission, sous le prétexte que, malgré les intentions du roi, il refusait de conduire les jeunes princes à la comédie.

Alors il résolut de se consacrer entièrement à la vie religieuse. I prit l'habit de Saint-Benoît dans le monastère de Saint-Cyran, dirigé par M. de Barcos, ne

(1) Les Écoles de jeunes personnes existaient depuis bien longtemps à Port-Royal.

Pascal et Arnauld comptaient parmi les religieuses plusieurs personnes de leur famille. Le premier y avait sa tante et sa sœur, et le second une tante et plusieurs de ses sœurs.

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