Imágenes de páginas
PDF
EPUB

imprimé pour la première fois en 1664, car le privilège est du 26 août 1659, et la première édition a été achevée le 28 avril 1660. Ils ont raison, au reste, d'ajouter que « leur Extrait n'exprime pas tous les avantages que l'on peut retirer de ce livre, et qu'on doit le consulter, l'étudier et le suivre, »

« Après ce que le dernier siècle a fait pour embellir notre langue, dit M. l'abbé d'Olivet, dans son excellent Traité de la Prosodic française (1), peut-être ne nous reste-t-il qu'à creuser les fondements, afin que, s'il est possible d'élever l'édifice plus haut, on y travaille avec sûreté. »

Les fondements des langues en général, et de la nôtre en particulier, paraissent suffisamment creusés et solidement établis dans la Grammaire générale et raisonnée. Ce qui fait que presque tous nos Grammairiens n'ont pas travaillé avec sûreté, c'est qu'ils n'ont pas choisi ces fondements pour élever leur édifice.

Comme il n'y a qu'une Grammaire dans le monde pour toutes les langues, parce qu'il n'y a qu'une logique pour tous les hommes, il ne faut pas être surpris de trouver dans une langue, quelque singulière qu'elle soit, les mêmes principes et les mêmes règles que dans les autres langues; mais outre ces principes communs et ces règles générales, chaque langue a ses tours propres et ses usages particuliers.

« Si les principes de la langue que l'on enseigne étaient vraiment raisonnés, les jeunes gens, que la Grammaire rebute, y prendraient goût; ce serait pour eux une occupation et un plaisir; on ne leur remplirait plus la tête de règles inintelligibles et fausses, ni de questions vaines et ennuyeuses; on leur façonnerait la raison loin de la gâter par des subtilités ridicules; on enrichirait leur mémoire, et on ornerait leur esprit; on n'éteindrait pas, dans les glaces d'une triste et sombre routine, ces beaux feux d'une noble imagination, qu'on ne doit qu'exciter et entretenir dans le cours des humanités; la sécheresse des idées et la barbarie du langage n'étoufferaient pas le goût naissant d'un jeune homme, dit fort bien l'auteur des Jugements sur quelques ouvrages nouveaux, dans une occasion approchante de celle-ci. » (2)

« Quid esse potest in otio, aut jucundiùs, aut magis proprium humanitatis, quàm sermo facetus ac nullâ in re rudis? Hoc enim uno `præstamus maximè feris quòd colloquimur inter nos, et quòd expri

(1) Page 4.

(2) Extrait des Leçons de physiqne expérimentale de M. l'abbé Nollet.

mere dicendo sensa possumus. Quamobrem quis hoc non jure miretur, ut quo uno homines maximè bestiis præstent, in hoc hominibus ipsis antecellat. Quel plus doux plaisir, et qui convienne mieux à l'homme, que d'avoir, quand nous sommes maîtres de quelques moments, une conversation aimable et polie? L'usage que nous avons de la parole, et la faculté de nous communiquer ainsi nos pensées, est ce qui nous distingue le plus des bêtes. Pouvoir donc l'emporter sur les autres hommes, en ce qui fait principalement que l'homme l'emporte sur la brute, n'est-ce pas quelque chose de merveilleux, et qui mérite qu'on fasse ses derniers efforts pour y réussir? » (1)

« Ce serait un avantage bien considérable pour les enfants, et même pour les jeunes gens déjà un peu raisonnables, s'ils pouvaient apprendre la Grammaire par de véritables principes (2) : cette pratique leur rendrait l'esprit juste, autant que chacun en particulier serait capable d'acquérir de la justesse, et ils s'accoutumeraient à faire usage de leur raison dans les autres fonctions de leur vie, ce qui doit être le but de toutes les études. Quand, parvenus à un certain âge, ils sont abandonnés à eux-mêmes, ils seraient moins sujets à vouloir tout oublier, parce qu'ils trouveraient dans leur propre fonds, les secours nécessaires pour s'occuper et pour se rendre utiles à la République. »

Comme la Grammaire générale et raisonnée était devenue extrêmement rare, et qu'elle me paraissait plus propre que tout autre livre à produire cet excellent effet, je me disposais à faire reimprimer le texte avec des éclaircissements et des augmentations tirées des auteurs qui ont traité avec le plus de soin et le plus d'intelligence les matières grammaticales, lorsque je me vis prévenu par un éditeur anonyme.

Sitôt que j'eus appris par le Mercure, de mars 1754, que M. Duclos, de l'Académie française, de celle des Belles-Lettres, et historiographe de France, était l'auteur des Remarques, je lui fis communiquer une partie de mes manuscrits, en suppliant cet académicien de ne me pas savoir mauvais grė si je disais mon sentiment sur son ouvrage. Je l'engageais à me faire le plaisir d'examiner mon travail à la rigueur, et d'en dire son avis avec franchise: le public y gagnera, ajoutais-je, et c'est tout ce que nous devons désirer.

(1) Cicero, de Oralore, liv. I, c. VIII, n. 32. Pensées recueillies par M. l'abbé d'Olivet, page 178.

(2) Dit M. Du Marsais.

M. Duclos, exempt de cet amour-propre qui fait le supplice des savants, et incapable de cette jalousie qui les dégrade, reçut très-favorablement mon essai : ce qui me détermina à lui écrire, à le voir, et à lui communiquer mon travail en entier, pour le mettre plus à portée d'en juger. Telle fut sa réponse :

« Je vous remercie des observations que vous me communi«quez. Je suis très-content de votre ouvrage : je l'ai lu avec attention, et je vous conseille simplement d'y mettre la brièveté « que vous pourrez, sans nuire au fond des choses. »

C'est sur le conseil de cet académicien que j'ai retouché tout mon ouvrage, et que je l'ai mis en état d'être imprimé à la suite du sien, sous ce titre : Réflexions sur les fondements de l'art de parler, pour servir d'éclaircissements et de supplément à la Grammaire générale et raisonnée, recueillies des auteurs qui ont le mieux approfondi la science grammaticale.

Pour rendre le style de la Grammaire générale et raisonnée plus conforme à l'usage présent, il aurait fallu rectifier toutes les phrases peu correctes, et éclaircir tous les endroits obscurs, au moins par des notes; mais quelquefois le respect dû au texte original m'a arrêté, quelquefois j'ai été obligé de me borner, de peur d'être trop diffus. D'ailleurs, j'ai cru devoir m'attacher plus aux choses qu'aux mots : je me suis moins occupé du mécanisme que de la métaphysique des langues. J'ai sérieusement approfondi ce qu'il y a de plus essentiel dans la Grammaire raisonnée. J'ai senti que certaines applications nécessaires pour bien développer les fondements de l'art de parler, ne devaient pas être négligées dans une Grammaire générale, à laquelle toutes les Grammaires particulières doivent être subordonnées et rappelées: c'est pourquoi, en bien des endroits, j'ai ajouté de nouvelles observations à celles que M. Duclos avait déjà faites. J'ai vérifié les citations, j'ai discuté avec soin les principes établis dans le premier et le treizième Chapitre de la seconde Partie, ainsi que dans onze autres, sur lesquels cet académicien n'avait fait imprimer aucune remarque. J'ai mis dans tout son jour le système admirable du savant Arnauld, sur l'objet et sur la forme de notre pensée j'ai fait voir comment, en arrêtant les regards de son esprit philosophique sur les langues, ce profond métaphysicien a le premier découvert et fait sentir la nécessité de distinguer en général deux sortes de mots, dont les uns signifient les objets de nos pensées, et les autres signifient la forme sous laquelle notre esprit considère les pensées, ou la manière dont il en envisage, pour ainsi

dire, les objets. Les mots de la première espèce marquent les choses, les mots de la seconde espèce marquent la manière dont les choses sont considérées. C'est sous cette seconde espèce que le docte Lancelot aurait dû ranger l'article et la préposition, qui ne signifient point des choses, et il aurait épargné à M. Du Marsais (1) la peine de rectifier l'application d'un système dont ce grammairien philosophe s'est approprié le fond, en distinguant les objets de nos idées d'avec les différentes vues sous lesquelles l'esprit considère ces objets.

Il est étonnant qu'un homme aussi savant et aussi judicieux que le P. Lami de l'Oratoire, qui a composé le premier Livre de l'Art de parler, d'une partie des Réflexions utiles et sensées de la Grammaire générale, ait laissé échapper la réflexion la plus essentielle de toutes, et la seule capable de former les fondements solides et durables du véritable Art de parler.

Il est bien plus surprenant que M. Restaut, qui a fait ses Principes généraux et raisonnés d'après la Grammaire générale et raisonnée, soit parvenu jusqu'à une septième édition sans avoir encore saisi le principe le plus général et le plus raisonné de tous, et sans que personne se soit encore avisé de lui en faire le reproche.

Il faut en convenir avec M. l'abbé Goujet (2) et avec l'auteur des Jugements sur les ouvrages nouveaux (3): entre toutes les Grammaires qui ont paru jusqu'ici, celle de M. Restaut est la moins défectueuse. Généralement parlant, l'ordre que ce grammàirien suit est simple et naturel, les exemples qu'il cite ont autant de justesse que d'utilité, la plupart des règles et des décisions qu'il donne sont d'une clarté et d'une solidité satisfaisantes; mais il n'en est pas toujours de même de ce qu'il dit sur les lettres, sur les syllables, sur les mots, sur l'orthographe, sur la ponctuation et sur les participes, ni de la manière dont il définit et dont il divise les parties de la Grammaire. On peut, sur tous ces points, et sur plusieurs autres, avoir des opinions différentes des siennes. J'oppose à son sentiment, quelquefois celui de M. l'abbé Regnier, ou de quelqu'autre grammairien, et souvent celui de M. Du Marsais.

L'Abrégé des règles de la Versification française de M. Restaut, paraît fait d'après la Brève Instruction sur les Règles de la Poésie

(1) Voyez le mot Article, dans l'Encyclopédie, et les Réflexions sur le premier chapitre de la deuxième partie.

(2) Bibliothèque française, tome I, page 70.

(3) Tome II, page 146; tome IX, page 73.

française de M. Lancelot, à la fin de la Nouvelle méthode latine. C'est une excellente copie, qui renchérit sur un bon modèle : je voudrais seulement qu'en parlant des rimes suivies on observat qu'elles s'appellent aussi rimes plates, et qu'en parlant des rimes entrem êlées on remarquât qu'elles se nomment aussi rimes croisées. Persuadé qu'on n'abusera point de mes réflexions, pour diminuer l'idée justement avantageuse que l'on a de l'ouvrage de M. Restaut, je ne crains point de dire que les cinq déclinaisons françaises, fondées sur cinq articles imaginaires, ne sont qu'une chimère vaine, qu'il a tâché inutilement de réaliser d'après l'Art de bien parler français, du sieur de La Touche, et d'après la Grammaire sur un nouveau plan du P. Buffier. Ce judicieux avocat n'aurait pas donné au prétendu article un et une, les mots de et des pour pluriel, s'il eût senti comme M. l'abbé Regnier des Marais (1), que le plus solide fondement de cette opinion est l'autorité d'un grand homme, qui l'a avancée dans la Grammaire générale et raisonnée; car du reste plusieurs raisons doivent la faire rejeter; et je les expose, ces raisons, dans mes réflexions sur l'article.

Le Traité de la Grammaire française, donné en 1706 par cet excellent académicien, fera toujours honneur à la langue et à l'Académie. On peut dire avec son approbateur, l'aimable et vénérable M. de Fontenelle, que « la netteté et la solidité qui règnent dans cet ouvra ge, le rendront toujours très-agréable et trèsutile au public. >>

M. l'abbé Goujet, dans sa Bibliothèque française (2), avance sans fondement que « il n'est rien dit de la syntaxe dans la Grammaire de M. l'abbé Regnier; » car, quoique cet académicien renvoie la syntaxe à un ouvrage séparé, qu'il s'était proposé de donner, et qu'il n'a point donné, il n'a cependant pas laissé échapper les occasions d'en parler dans le courant et à la suite de chaque article, et ce qu'il en dit peut suffire eu égard à son plan.

Il serait néanmoins à souhaiter que M. l'abbé Regnier eût mis au jour les trois traités qu'il promet à la fin de sa préface: 1o sur la construction et sur la liaison de toutes les parties du discours; 2o sur les variations et sur les irrégularités de l'usage dans la parole; 3° sur les qualités métaphysiques et analogiques du style. La Grammaire générale et raisonnée lui a fourni, dans son pre

(1) Page 54.

(2) Tome I, page 56.

« AnteriorContinuar »