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mier ouvrage, matière à d'excellentes remarques sur la pratique du langage, et je n'ai pas manqué de les insérer dans mon Supple

ment.

Cette même Grammaire générale et raisonnée lui aurait fourni, sans doute, pour son second ouvrage, sujet à de sòlides réflexions sur la théorie du langage, et je ne serais pas moins attentif à en faire mon profit.

Il faut le dire sans déguisement, le P. Buffier a fait de l'ouvrage de l'abbé Regnier un extrait plus plaisant qu'exact(1): sa critique est trop sévère sur certains points, sur beaucoup d'articles elle dégénère en pure chicane, et, dans bien des occasions, il semble affecter d'embrouiller et d'altérer les sentiments et les décisions de l'académicien. Celui-ci aurait mieux fait d'avouer quelques fautes assez essentielles, relevées avec raison, que de s'obstiner à les justifier mal à propos; mais du reste sa réponse est vive et solide, et sa Grammaire in-4o, malgré l'extrême longueur qu'on lui reproche, réduite en un seul volume in-12, ne paraît guère plus grosse que celle du P. Buffier, qui, quelqu'estimable qu'il soit, se trompe pourtant quelquefois, et omet souvent des choses importantes.

Si le sieur de La Touche eût travaillé, comme le P. Buffier, d'après la Grammaire générale et raisonnée, l'Art de bien parler français (2) serait préférable à la Grammaire sur un nouveau plan, parce que les matières y sont présentées dans un ordre plus naturel, et conséquemment plus pratique. Les Français et les étrangers qui veulent se perfectionner dans notre langue, peuvent se servir utilement des observations du sieur de La Touche sur la Grammaire, et principalement de ses remarques sur les façons de parler douteuses.

Quoique M. Restaut ait répandu les règles particulières de la syntaxe dans le corps de son ouvrage, sous chaque partie du discours, cela ne le dispensait pas d'en exposer les règles générales dans un traité séparé à la fin de sa Grammaire, qui aurait eu plus de conformité avec son Abrégé.

Puisqu'il a spécialement en vue de faire trouver aux jeunes gens, dans les règles de la langue française, quelques préparations par

(1) Mémoires de Trévoux, octobre 1706.

(2) Imprimé à Amsterdam, d'abord en 1696, et pour la sixième fois en 1747, 2 vol. in-12, dédié au feu duc de Glocester, fils de la feue reine Anne d'Angleterre.

ticulières à la langue latine; puisque, de son aveu, la syntaxe est le point le plus utile et le plus important de toute langue, il fallait qu'il approfondît ce sujet autrement qu'il ne l'a approfondi: il fallait qu'il établît la concordance sur le rapport d'identité, et le régime sur le rapport de détermination (1), comme M. Duclos l'a fait dans ses Remarques, et comme je n'hésite point à le faire aussi dans mes Réflexions, d'après M. Du Marsais, notre original commun, selon lequel il fallait distinguer la construction d'avec la syntaxe, et faire voir la différence de la simple d'avec la figurée et l'usuelle. Il était nécessaire, ce me semble, que M. Restaut discutât un peu la question intéressante de l'inversion, et qu'il donnât des raisons plus satisfaisantes sur le que prétendu retranché, et sur le sens total d'un nom avec un infinitif. Il devait au moins placer dans la Table des matières le mot syntaxe, avec renvoi aux endroits où il en est parlé; il pouvait n'y pas omettre le caprice de l'usage, ni l'élision de l'e et de l'a, ni l'insertion euphonique de s ou de t en certaines rencontres. Il convenait qu'il mît dans cette Table le mot affirmation, et qu'il en distinguât de trois sortes, la simple, la modifiée et l'indéfinie. En soutenant la définition que M. Arnauld donne du Verbe, il fallait que M. Restaut opposât des réponses solides aux objections spécieuses de M. l'abbé Girard. J'espère qu'on ne sera pas mécontent de la manière dont j'analyse, non seulement les vrais principes de cet académicien, mais encore la Grammaire du P. Buffier, et la Mécanique des langues de M. Pluche, souvent pour réfuter, quelquefois pour adopter leur sentiment (2).

J'ai trouvé dans les Notes de Perizonius sur la Minerve de Sanctius (3), dans le Mercure de Scioppius, dans Vossius de Arte grammatica, dans la Nouvelle Méthode raisonnée pour apprendre le latin, par M. Du Marsais, dans les Tropes de ce grammairien

(1) Comme il faut nécessairement que deux termes appartiennent à une même chose, ou à des choses différentes, on a établi la concordance pour marquer l'identité, et le régime pour marquer la diversité, dit M. le Blanc, Théorie de la Parole, page 133.

(2) Voyez les Réflexions sur le premier et le treizième chapitre de la deuxième partie.

(3) Amsterdam, 1714.

Nota. M. Rollin, Traité des Etudes, tome I, page 193, 250, dit que la Méthode de Port-Royal n'est pas sans défauts. Où donc l'auteur des Jugements, tome I, page 336, a-t-il trouvé tant de Grammaires grecques et latines exemples de fautes?

philosophe, et dans les admirables morceaux qu'il a donnés au Dictionnaire encyclopédique, quantité de réflexions neuves, curieuses et instructives, au moyen desquelles on peut remédier à des défauts essentiels qui se sont glissés, non seulement dans les Méthodes grecque et latine, mais même dans la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal. Les deux habiles et courageux éditeurs (1) du dictionnaire utile et immense dont nous venons de parler, annoncent avec raison dans leur Préface que : « Aucun ouvrage connu ne sera ni aussi riche, ni aussi instructif que le eur sur les règles et les usages de la langue française, et même sur la nature, l'origine et le philosophique des langues en général. »

«Il semble étrange que dans une étude telle que celle de la Grammaire (2), qui est la première de toutes, et qui suppose que l'étudiant n'a aucune teinture des lettres, on n'ait pas employé = cette méthode simple et suivie de la géométrie, si recommandable en elle-même, et si fort en vogue de notre temps: elle p'emploie aucun terme qu'elle n'ait expliqué nettement. Mais, dira-t-on, la Grammaire ne s'est-elle pas bien apprise sans une méthode si exacte? et quelque système qu'on en puisse faire, comme ses principes ont quelque chose d'épineux, ne faut-il pas toujours recourir à la voie des exemples pour venir à la pratique? J'avoue que cette voie est nécessaire pour rendre les choses plus sensibles; je n'ai garde de l'exclure: mais je prétends que les exemples s'impriment mieux dans l'esprit quand ils sont à la suite d'une notion juste et précise, et que réciproquement la justesse de cette notion applique l'eprit plus sûrement au détail des exemples, au lieu que les notions étant défectueuses, plus l'esprit veut les pénétrer, plus il s'embarrasse lui-même. »

« Lorsque la théorie est jointe à la pratique (3), on possède les choses tout autrement que quand on ne les sait que par une espèce d'habitude et de routine. Quelque bons yeux qu'on puisse avoir, on ne peut être bien assuré de les avoir justes, que quand ils s'accordent avec la règle et le compas. »

<< Si quelqu'un s'imagine, dit en latin M. Fourmont l'aîné, dans la préface de sa Grammaire chinoise (4), que la connaissance des langues

(1) MM. Diderot et d'Alembert.

(2) Buffier, no 6.

(3) Regnier, Préface.

(4) In-folio, 1744.

ne dépend que de la mémoire, il se trompe grossièrement : elle demande beaucoup de jugement, de raisonnement et de philosophie, c'est-à-dire, bien de l'esprit : ce qui y sert le moins est l'usage et la routine. Pour entendre et traduire les livres d'une langue morte ou étrangère, l'analogie des langues que l'on sait déjà, est nécessaire (1). Combien peu de maîtres même s'appliquent aujourd'hui à la connaissance de cette analogie! »>

<«<Pour donner une juste idée de tout ce qui appartient à une matière aussi ample et aussi épineuse que la Grammaire, dit l'abbé Regnier (2), on est obligé d'entrer dans des recherches qui demandent beaucoup de capacité et de connaissances: il faut employer la logique et la métaphysique à discuter les principes de chaque partie du discours; il faut pénétrer dans les raisons qui ont rendu ces principes communs à toutes les sociétés des hommes, et qui ont établi une si grande variété dans l'application que chaque peuple en fait; il faut enfin descendre à toute heure dans des détails d'une précision difficile et d'une attention fatigante. »

« Il ne faut pourtant pas conclure de là que les enfants soient incapables de profiter des réflexions que je propose à ce sujet. Les enfants sont capables d'entendre raison, dès qu'ils entendent leur langue naturelle, dit M. de Moncrif, d'après M. Locke, et ils aiment à être traités en gens raisonnables plutôt qu'on ne s'imagine. Ceux qui sont en état de comprendre les règles (3) obscures et stériles des collèges, dit M. Du Marsais, peuvent concevoir avec plus de goût et de satisfaction les règles lumineuses et fécondes de la Grammrire raisonnée. Ce n'est pas là proprement la logique ni l'art de penser, mais c'en est l'introduction; ce sont des notions utiles et nécessaires qui forment l'esprit des enfants; car comme les mots sont les signes des idées, il est impossible de parler raisonnablement sur les mots, sans que ce soit par rapport aux idées qu'ils signifient. On ne saurait traiter les enfants trop tôt en€ hommes, dit M. l'abbé de Saint-Réal (4). Cette opinion de l'incapacité des jeunes gens pour le raisonnement est une condescen

(1) M. Diderot appelle l'analogie et l'étymologie, les ailes de l'art de parler, comme on appelle la chronologie et la géographie les yeux de l'histoire.

(2) Préface.

(3) Ces règles ne sont pas de pure logique, car elles ne sont que de pure routine, et c'est ce qui fait le supplice des écoliers. (Pluche, Préface de la Méc. des lang., page 12.3

(4) De l'Usage de l'Histoire, lome II, page 2.

dance pour les maîtres plutôt que pour les disciples; parce que les maîtres ne savent pas les faire raisonner, ils ont intérêt à dire que cela est impossible, et ils se moquent de cet art merveilleux comme d'une chose chimérique. Raisonnons toujours avec les enfants, si nous voulous les rendre raisonnables, dit M. Paris de Meyzieu (1). ›

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Si la Grammaire générale et raisonnée n'était pas d'ailleurs le plus excellent traité que nous ayons en ce genre, et si les Remarques de M. Duclos n'étaient pas du reste aussi exquises qu'elles le sont, on se serait abstenu de publier le présent Supplément; mais il pourra être d'autaut plus utile, que le mérite de ce petit livre en soi, et la réputation de l'auteur et du commentateur, pourraient donner au public occasion de se tromper, en lui faisant prendre pour exacts, clairs et infaillibles de tout point, des principes qui n'ont pas toujours été suffisamment examinés, approfondis et développés, au moins quant à l'application.

Ainsi l'amour de l'utilité publique est l'unique objet des Réflexions que l'on va lire. Si je critique différents grammairiens de réputation, et en particulier M. Restaut, ce n'est pas pour m'opposer à la juste estime que l'on fait partout des Principes gé➡ néraux et raisonnés de la Grammaire française; mais c'est pour apprendre aux lecteurs peu éclairés, à ne pas estimer jusqu'aux défauts; c'est dans la vue « d'indiquer avec précision à cet auteur, les méprises qui lui restent à réformer, pour conduire son ouvrage au degré de perfection dont il est encore susceptible (2). » Semblable à ces beaux bâtiments dont le corps est bien fait, dont l'intérieur même est commode et bien distribué, mais qui manquent par les fondements, l'édifice grammatical de M. Restaut a besoin et mérite d'être repris sous œuvre, pour devenir aussi solide qu'il est beau.

« A considérer, dans quelque langue que ce soit, la Grammaire en elle-même, il n'est ni expression, ni mot particulier, dont elle ne dût expliquer la nature et les propriétés; mais, comme ce détail serait rebutant, et même impossible, à cause de son étendue infinie, il faut qu'une Grammaire soit bornée, et c'est ce qui fait sa perfection, » dit fort bien le P. Buffier (3).

(1) Directeur général des études et intendant de l'Ecole royale militaire, en survivance de M. Paris du Vernay, conseiller d'Etat. Voyez l'article Ecole militaire, tome V, de l'Encyclopédie.

(2) Restaut, Avertissement sur la cinquième édition, page 31, livre v. (3) N° 50.

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