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PREMIÈRE PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.

Des Voyelles.

Monsieur l'abbé de Dangeau, outre les cinq voyelles ordinaires ou latines, a, e, i, o, u, en admet encore dix autres; savoir: cinq qu'il appelle voyelles françaises, ou, eu, qui se prononcent comme dans fou, feu; au, c'est-à-dire, ó ouvert, comme dans hauteur, hôte; è ouvert, comme à la fin du mot succès; e muet, comme à la fin du mot homme. Plus les cinq voyelles sourdes ou nasales: an, qui se prononcent comme au commencement des mots (2) André, Ambroise, entier, empereur; en, comme dans lien, Caldéen; in, comme dans innombrable, immuable; on, comme dans non, nom; un ou eun, comme dans brun, parfum, qui se prononcent breun, parfeum.

Il est vrai que, quand une partie de la voix qui forme les voyelles simples, passe par le nez, ces voyelles en reçoivent quelqu'altération : c'est pourquoi l'on pourrait dire que nous avons huit ou neuf voyelles sourdes ou nasales. Mais cet académicien n'en a marqué que cinq, parce qu'il n'y a que ces cinq-là dont on se serve quand on parle purement. M. l'abbé de Dangeau, et ceux de nos grammairiens qui le suivent, n'admettent, comme on voit, que cinq voyelles nasales proprement dites, ou tirées de l'm et de l'n. Ce n'est donc pas parler juste que de dire, comme un fameux critique (3), qu'ils en admettaient dix.

(1) Opuscules sur la langue française, pages 15, 16 et 65. Chez Brunet, 1754.

(2) Jugements sur quelques ouvrages nouveaux, tome IV, page 38.

Selon M. l'abbé Antonini (1), les Italiens ne connaissent pas dans leur langue ces voyelles nasales, quoi qu'en dise le P. Buffier, no 220. Ainsi andare aller, tentare tenter, ingrato ingrat, rispondere répondre, doivent se prononcer comme s'il y avait anedare, tenetare, inegrato, risponedere, etc.

Il y a entre au et ô ouvert une si parfaite ressemblance de son, qu'on les a employés quelquefois l'un pour l'autre. (2) Les Grecs disent αὖλαξ et λαξ, sulcus, sillon, τραῦμα тpēμа, vulnus, plaie; les Latins disent caudex ou códex, tronc, tablettes, code, caurus ou córus, vent nord-ouest, ou sorte de mesure, c'est le chomer des Hébreux.

"Quiya se prononçait dans le fond de la bouche d'un son gros et rempli; dμxpov se prononçait sur le bord des lèvres d'un son clair et délié : ainsi et o diffèrent, non seulement dans la quantité, mais encore dans le son naturel et essentiel : donc notre o fermé, qui équivaut à l'ỏμ.tzpỏv, et notre au ou notre ó ouvert, qui équivaut à l'opéra, forment deux sons différents.

M. l'abbé Girard admet six voyelles, a, e, i, o, u, y (3). « Quoique i et y n'aient que le même son, ces six voyelles, dit-il, rendent néanmoins sept sons. » Elles en rendent huit et plus ; car, de son aveu, e fournit trois sons; il est démontré que o en fournit deux; a, i, u, chacun un au moins : cela fait bien huit.

Chaque voyelle est ou seule, ou doublée, ou jointe à l'une des deux consonnes m, n: ce qui fournit à cet académicien le fonds suffisant pour seize nuances de voix, ou seize différents sons. Oi, à ce qu'il prétend, rend un son qui lui est propre ; cependant oi présente le son de l'è ouvert dans François, Hollandois, qui se prononcent Francès, Hollandès: Oi présente le son plein et double de la voyelle ou réunie à l'è ouvert dans roi, loi, qui se prononcent roè, loẻ. En toute autre circonstance, oi ne rend jamais de son qui lui soit propre ainsi M. l'abbé Girard le devait retrancher du nombre

(1) Grammaire pratique, page 15.

(2) Voyez les Méthodes grecque et latine de P.-R.

(3) Vrais Principes de la langue française, tome II, page 335, etc.

des sons. Il devait aussi retrancher oin du nombre des voyelles nasales; car oin est une diphthongue qui renferme le son de la voyelle combinée ou, avec le son de la voyelle nasale en. Soin se prononce comme s'il y avait souen. Oin ne forme donc pas de son particulier non plus que oi. Les seize différents sons de M. l'abbé Girard doivent donc être réduits à quatorze, non compris l'o ouvert, qu'il rejette sans raison.

M. Restaut insinue (1) que chapelle venant du verbe chapeler, se prononce comme chapelle nom substantif, et que cachette venant de cacheter, se prononce comme cachette, lieu où l'on se cache, en faisant entendre l'e pénultième un peu ouvert. Cependant bien des personnes de distinction, des gens de lettres même, prononcent, et prétendent qu'il faut prononcer chapelle, cachette, comme si l'e pénultième était supprimé ou extrêmement muet. Il en est de même de furette, troisième personne singulière de fureter, que l'on prononce ordinairement comme heurte de heurter; feuillette, chuchette, etc., venant de feuilleter, chucheter, etc., se prononcent aussi communément sans e pénultième. Il y a environ onze ans, l'Académie, consultée à ce sujet, décida d'une voix unanime qu'il fallait prononcer furette venant de fureter, et les autres verbes de cette espèce, avec l'e pénultième un peu ouvert. Cette décision est conforme à l'analogie de la langue.

Le même M. Restaut (2) présente à bref et ā long comme deux sons distingués, parce qu'ils ont quelque différence dans la prononciation, et en conséquence il admet seize sons simples, exprimés par les voyelles, compris 6 ouvert, qu'il appelle o long; mais i bref et i long, comme dans l'empereur Tite, gite; u bref, u long, comme dans butte ou bute, flûte, ont, ce me semble, quelque différence dans la prononciation; c'est-à-dire qu'indépendamment de la quantité, i et u sont susceptibles d'une modification aiguë ou grave, forment par conséquent chacun un son particulier. Quant à la modification nasale, je doute que i ne la reçoive pas, comme M. Duclos le prétend. M. l'abbé de Dangeau connais(1) Page 482, sixième édition. (2) Sixième édition, page 14.

et

sait assurément la prononciation de la cour et de la ville; cependant, selon cet excellent académicien, in ne se prononce pas comme en dans bien des mots, spécialement dans innombrable, immuable (1); par conséquent le théâtre se conforme au bon usage, dont il est un exemple permanent, en distinguant ce dernier son nasal dans la prononciation, qui ne paraît pas en cela provinciale (2). Ainsi, nous laisserons subsister les cinq voyelles nasales. A l'e ouvert grave de tempête et à l'eu ouvert grave de jeûne, ajoutez l'e ouvert aigu de trompette et l'eu ouvert aigu de jeŭne, et au lieu de dix-sept sons simples exprimés par les voyelles, vous en aurez vingt.

Nota. Quelqu'un, commun, importun, etc., qui se prononcent quelqueun, commeun, importeun, au masculin, reprennent au féminin le son naturel de l'u, quelqu'une, commune, importune.

Mais si l'ou susceptible de différente quantité dans foùdroyer et foudre, dans poudrer et poudre, etc., était aussi susceptible de modification plus ou moins grave, ne serait-ce pas un nouveau son à ajouter aux autres? On peut consulter les remarques pleines de sagacité et de justesse que M. Boindin nous a laissées sur les sons de la langue, mais surtout le profond et curieux traité que M. l'abbé d'Olivet nous a donné sur la prosodie française (3). Cet académicien décide, d'après Théodore de Bèze (4), que si nous haussons la voix, c'est sur une syllabe longue, et si nous la baissons, c'est sur une syllabe brève : eadem syllaba acuta quæ producta, et eadem gravis quæ correpta.

Selon le même académicien (5), eu ne forme qu'un son unique; il devait donc l'appeler voyelle combinée, et non pas diphthongue d'ailleurs, comme ou ne forme non plus qu'un

:

(1) L'i nasal se fait sentir dans le mot incorporé. Boindin, Sons de la langue, pages 24 et 78.

(2) Remarques de M. Duclos, page 8.

(3) Page 31.

(4) De Franciscæ linguæ rectá pronunciatione tractatus, Geneva, 1584.

(5) Page 81.

son unique, on est surpris que ce dernier son ne se trouve point à la page 91 du même traité.

S'il y avait seize voyelles aiguës ou graves;

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an,

ban, lent, camp.

en, bien, pain, vin, faim.

in, innombrable, immuable, incorporé.

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eun, brun, à jeun, parfum.

Il y en aurait en tout vingt et une.

La quantité (1) n'étant, comme le dit M. Diderot, que la loi du mouvement de la prononciation, la hâtant ou la suspendant seulement, elle ne devrait rien faire ni pour la douceur, ni pour l'aspérité des sons; cependant elle y influe souvent, à ce qu'il me semble. Eadem syllaba acuta quæ producta, eadem gravis quæ correpta. Selon ce texte de Bèze, il semble qu'il faudrait mettre l'accent aigu sur les syllabes longues, et le grave sur les brèves, et nous faisons tout le contraire.

La différence qu'il y a entre mon alphabet des voyelles et celui de M. Duclos, ne regarde que l'i, l'u, l'ou et l'i nasal.

M. Duclos prétend que les trois premières voyelles ne sont jamais graves dans notre langue, quoiqu'elles soient susceptibles de prolongation, et que l'i nasal se prononce toujours comme si c'était un e nasal. Je ne propose mon sentiment que comme un doute; le lecteur en jugera.

(1) Voyez le mot encyclopédie, tome V de l'Encyclopédie.

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