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CHAPITRE XVII.

De l'Infinitif.

Infinitif signifie proprement indéfini, indéterminé: aimer, agir, avoir, dire, faire, et tous les autres termes qui répondent à ceux-là dans chaque verbe, sont à l'infinitif, parce qu'ils n'ont d'eux-mêmes qu'une signification indéfinie, c'est-àdire, qui n'est déterminée à aucune personne ni à aucun nombre (1).

Les nations qui n'ont pas différentes inflexions dans leurs verbes, se servent de l'infinitif avec un pronom, un nom et un adverbe, ou l'équivalent, pour exprimer la personne, le nombre, le lieu, les faits et les circonstances. Exemple: moi goûter beaucoup les principes de la Grammaire raisonnée; moi vouloir mon neveu les apprendre bientôt, etc.

Les verbes de la langue franque n'ont pour tout temps que le présent de l'infinitif, dont les autres termes de la phrase ou les conjonctures modifient la signification. Ainsi, je veux, je voulais, j'ai voulu, je voudrais t'épouser, c'est, mi voleri sposarti.

Dans la troisième édition de la Grammaire raisonnée, à la fin du texte de ce chapitre, on trouve une addition de huit lignes qui ne sont point dans la seconde édition de Port-Royal, ni dans la première édition de M. Prault. Cette faute est bien réparée.

:

« Prenez tel livre de méthode qu'il vous plaira, eût-il pour titre Méthode facile, dit M. Du Marsais (2), on vous dira: lorsque dans le français il y a un que après un verbe, pour tourner le français en latin, il faut retrancher le que et mettre le substantif qui le suit à l'accusatif, et le verbe à l'infinitif au temps qu'il faut, soit au présent, si le verbe est au pré

(1) Regnier, pages 345 et 352.

(2) Exposition de sa méthode rais.; chez Ganeau, en 1722, page 44.

sent, etc. Cette règle même se trouve suivie d'un grand nombre d'exceptions, qui sont expliquées de la même manière. N'est-il pas plus simple et plus à la portée des enfants de leur faire observer la différence du latinisme et du gallicisme? Hæc Jovem sentire deosque cunctos, spem bonam certamque domum reporto (1), etc.; je remporte à la maison l'espérance bonne et assurée, Jupiter et tous les dieux penser ces choses. C'est une façon de parler latine; on dit en français : je retourne chez moi avec une confiance entière que Jupiter et tous les dieux ont ces sentiments. Cicéron a dit : scio illud tibi esse cura; littéralement : je sais cela étre à soin à toi; selon le tour de la langue française : je sais que vous vous intéressez à cela..

<< Il n'y avait point de que retranché du temps d'Horace et de Cicéron (2). Ne serait-il pas ridicule de prétendre que ces deux auteurs, pour exprimer les pensées que nous venons de rapporter, ont retranché le que, qu'ils ont mis le nom suivant à l'accusatif, le verbe à l'infinitif, etc. La raison de ces accusatifs latins est donc qu'ils forment un sens qui est le terme de l'action d'un verbe ; c'est donc par l'idiotisme de l'une et de l'autre langue qu'il faut expliquer ces façons de parler. Ce mot que est alors le représentatif de la proposition déterminative qui suit un verbe. Je dis que : que est d'abord le terme de l'action, je dis, dico quod; la proposition qui le suit est l'explication de que: je dis que les gens de bien sont estimés ; et cette proposition postérieure, qui explique ou détermine le mot que, entre par ce moyen avec la proposition antérieure dans la composition d'une même période. »

Le discours n'est qu'un tissu de plusieurs propositions : c'est pourquoi les hommes ont cherché les moyens de marquer la liaison de plusieurs propositions qui se suivent (3). Notre que français, qui répond à l'ort des Grecs, fait cet office, comme quand on dit, je sais que Dieu est bon: que unit ces deux propositions, je sais et Dieu est bon; il marque la liaison

(1) Horace, à la fin du Poème séculaire.

(2) Du Marsais, page 43. Remarques, articles 52 et 53 de Trévoux, mai 1723. Préface, page 8.

(8) Art de parler, page 20.

que l'esprit fait de ces deux propositions. Pour abréger, on met le verbe de la seconde proposition à l'infinitif ; et c'est un des plus grands usages de l'infinitif de lier ainsi deux propositions; par exemple: Pierre croit tout savoir, pour Pierre croit qu'il sait tout.

Un des usages de l'accusatif est d'être le suppôt de l'infinitif, comme le nominatif l'est avec les modes finis: Petrus legit, Pierre lit; Petrum legere, Pierre lire; Petrum legisse, Pierre avoir lu, etc. Si l'on trouve quelquefois au nominatif un nom construit avec un infinitif, c'est par imitation des Grecs, qui construisent indifféremment l'infinitif avec un nominatif ou avec un accusatif, etc.

Le sens total exprimé par un accusatif avec un infinitif peut être et est souvent le sujet d'une proposition (1); ce que M. Duclos a fort bien remarqué: magna ars est non aparere artem, l'art ne point paraître est un grand art. Voilà comme on parle en latin; voici comme on s'exprime en français: empêcher l'art de paraître est un grand art. M. Du Marsais est le premier, ce me semble, qui ait levé les difficultés que les autres auteurs de Grammaires latines se sont formées gratuitement sur le que retranché, et sur les autres fantômes qui font tant de peine aux enfants, qui les fatiguent sans les éclairer, et qu'on oublie dès qu'on devient raisonnable, parce que ces règles prétendues n'ont aucun fondement dans la nature, quoiqu'on les honore du nom de principes (2).

CHAPITRE XVIII.

Des Verbes adjectifs, actifs, passifs, neutres.

<< L'auteur qui, dans sa Grammaire générale èt raisonnée, a essayé de comprendre aussi bien les principes de la Grammaire française que ceux de la Grammaire latine, soutient les

(1) Voyez, dans l'Encyclopédie, les mots accusatif, çonstruction. (2) Exposition d'une méthode, R., page 30.

verbes neutres contre Sanctius, dont il réfute très-bien l'opinion; et je souscris d'autant plus volontiers à cette décision, dit l'abbé Regnier (1), qu'outre le poids que le nom seul de l'auteur y pourrait donner, l'opinion de Sanctius se peut encore moins soutenir à l'égard de la langue française qu'à l'égard de la latine.»

Le mot qui sert à exprimer ce qu'on attribue au sujet ou ce qu'on en affirme, le P. Buffier l'appelle Verbe (2). Il me semble que ce père confond ici ce qui affirme avec ce qui est affirmé. Ce qui affirme, c'est le verbe, et ce qui est affirmé, c'est l'attribut.

Pourquoi M. Vallart, après avoir dit qu'il doit toujours y avoir trois choses dans une phrase, un nominatif, un verbe et un régime, ajoute-t-il que dans cette proposition, Dieu punira les méchants, Dieu est le sujet, punira est le verbe, et les méchants l'attribut? Ce n'est pas là parler en bon dialecticien les méchants ne sont pas l'attribut de la proposition, c'est la punition des méchants que l'on attribue à Dieu. Le sujet, le verbe et l'attribut sont les trois mots essentiels à une phrase. Le régime n'est pas toujours essentiel; car il y a bien des phrases sans régime.

Ou le substantif marche après un verbe précédé d'un autre substantif, et sa fonction est d'exprimer ce qu'en logique on appelle l'attribut de la proposition: alors, dit M. l'abbé d'Olivet (3), nous le nommerons substantif régi, parce qu'en effet il est régi par ce verbe qui le précède. Ainsi, dans cette phrase, le peuple aime le roi, c'est le peuple qui est régissant, et le roi est régi; dans cette autre, le roi aime le peuple, c'est le roi qui est régissant, et le peuple est régi.

Est-il bien vrai que la fonction du substantif régi par le verbe qui le précède, est d'exprimer ce qu'en logique on appelle l'attribut de la proposition? J'ai toujours cru que le substantif régi était le terme de l'action que le verbe signifie. Quand on aime, on aime quelque chose; ce qu'on aime s'ap-pelle le terme ou l'objet de l'action d'aimer, et se met à l'ac

(1) Page 343.

(2) Nos 67 et 68.

(3) Opusc. gramm., page 22.

cusatif: populus amat régem, le peuple aime le roi. Ce mot regem, le roi, est l'accusatif; parce qu'il accuse, il déclare, il marque le terme ou l'objet de l'action du verbe amat, aime. Ce verbe est composé ou adjectif, il renferme le verbe simple ou substantif avec l'attribut: amat, aime, c'est-à-dire, est amans, est aimant. Cette phrase, le peuple aime le roi, équivaut à celle-ci, le peuple est aimant le roi. Le mot est, voilà le verbe, c'est-à-dire, le mot par lequel je juge, j'affirme que le peuple est aimant; aimant, voilà l'attribut, c'est-à-dire, ce que je pense, ce que je juge, ce que j'affirme du peuple, c'est la qualité que je lui attribue. C'est ce qu'en logique, comme en grammaire, on appelle l'attribut de la proposition. Le peuple est le sujet de la proposition, il est la cause ou le principe de l'action d'aimer, dont le roi est le terme ou l'objet, ce qu'en logique, comme en grammaire, on appelle le régime du verbe ou le substantif régi, chose bien différente de ce qu'on appelle attribut. Il est aisé d'analyser de même la phrase, Dieu punira les méchants.

C'est à peu près ainsi que M. Du Marsais analyse cette proposition-ci (1): Petrus percutit Paulum, Pierre bat Paul. Comme cette action qu'on dit que Pierre fait, part d'un principe corporel, c'est conséquemment une action réelle : Paul, à qui elle se termine, devrait être appelé sujet; cependant M. Du Marsais l'appelle objet. Ce Grammairien philosophe ne met apparemment aucune distinction entre le terme de l'action réelle de battre, et le terme de l'action intentionnelle d'aimer. Celle-ci, produite par un principe spirituel, a pour terme une personne ou une chose que la Grammaire raisonnée appelle objet (2).

M. Restaut distingue l'action réelle de l'action intentionnelle (3); il nomme le terme de l'une sujet, et le terme de l'autre, objet {(4); mais ailleurs il paraît se contredire, en avançant que les choses molles, dures et liquides sont les objets du toucher. Toucher est une action réelle; si les choses

(1) Tropes, page 214.

(2) Page 129, présente édition.

(3) Grammaire, page 261. (4) Id., page 37.

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