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grande analogie entre ces deux langues, qui s'apprennent ordinairement ensemble.

Et enfin, toutes les fois qu'en notre langue un nom est gouverné par une préposition quelle qu'elle soit : il a été puni pour ses crimes; il a été amené par violence; il a passé par Rome; il est sans crime; il est allé chez son rapporteur; il est mort avant son père: nous pouvons dire qu'il est à l'ablatif, ce qui sert beaucoup pour bien s'exprimer en plusieurs difficultés touchant les pronoms

REMARQUES.

Les cas n'ayant été imaginés que pour marquer les différentes vues de l'esprit, ou les divers rapports des objets entre eux; pour qu'une langue fût en état de les exprimer tous par des cas, il faudrait que les mots eussent autant de terminaisons différentes qu'il y a de ces rapports. Or, il n'y a vraisemblablement jamais eu de langue qui eût le nombre nécessaire de ces terminaisons. Ce ne serait d'ailleurs qu'une surcharge pour la mémoire, qui n'aurait aucun avantage qu'on ne se procure d'une manière plus simple. La dénomination des cas est prise de quelqu'un de leurs usages. Nous avons peu de cas en français nous nommons l'objet de notre pensée ; et les rapports sont marqués par des prépositions, ou par la place du mot.

Plusieurs Grammairiens se sont servis improprement du nom de cas. Comme les premières Grammaires ont été faites pour le latin et le grec, nos Grammaires françaises ne se sont que trop ressenties des syntaxes grecque ou latine. On dit, par exemple, que de marque le génitif, quoique cette préposition exprime les rapports que l'usage seul lui a assignés, souvent très-différents les uns des autres, sans qu'on puisse dire qu'ils répondent aux cas des Latins, puisqu'il y a beaucoup de circonstances où les Latins, pour rendre le sens de notre de, mettent des nominatifs, des accusatifs, des ablatifs ou des adjectifs. Exemples : La

ville de Rome, urbs Roma. L'amour de Dieu, en parlant de celui que nous lui devons, amor erga Deum. Un temple de marbre, templum de marmore. Un vase d'or, vas aureum.

Les cas sont nécessaires dans les langues transpositives, où les 'inversions sont très-fréquentes, telles que la grecque et la latine. Il faut absolument, dans ces inversions, que les noms qui expriment les mémes idées, comme λόγος, λόγου, λόγω, λóyov, λóye; sermo, sermonis, sermoni, sermonem, sermone (discours), aient des terminaisons différentes, pour faire connaître au lecteur et à l'auditeur les différents rapports sous lesquels l'objet est envisagé. Le français et les langues qui, dans leur construction, suivent l'ordre analytique, n'ont pas besoin de cas; mais elles ne sont pas aussi favorables à l'harmonie mécanique du discours, que le latin et le grec, qui pouvaient transposer les mots, en varier l'arrangement, choisir le plus agréable à l'oreille, et quelquefois le plus convenable à la passion. Il s'en faut pourtant bien qu'aucune langue ait tous les cas propres à marquer tous les rapports, cela serait presque infini, mais elles y suppléent par les prépositions.

Nous n'avons de cas en français que pour les pronoms personnels, je, me, moi, tu, te, toi, il, elle, nous, vous, eux, et les relatifs qui, que: encore tous ces cas ont-ils leurs places fixées, de manière que l'un ne peut être employé pour l'autre. Aussi avons-nous peu d'inversions, et si simples, que l'esprit saisit facilement les rapports, et y trouve souvent plus d'élégance.

Rhodes, des Ottomans ce redoutable écueil,
De tous ses défenseurs devenu le cercueil.
A l'injuste Athalie ils se sont tous vendus.
D'un pas majestueux, à côté de sa mère,
Le jeune Eliacin s'avance.

Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé ! Quel sera l'ordre affreux qu'apporte un tel ministre ? Tout ce qui est ici en italique est transposé. Ces inversions sont très-fréquentes en vers, et se trouvent quelquefois en prose, mais elles n'embarrassent assurément pas l'esprit.

Plusieurs savants prétendent que les inversions latines ou

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grecques nuisaient à la clarté, ou du moins exigeaient de la part des auditeurs une attention pénible, parce que, disent-ils, le verbe régissant étant presque toujours le dernier mot de la phrase, on ne comprenait rien qu'on ne l'eût entendue tout entière. Mais cela est commun à toutes les langues, હૈ celles même telles que la nôtre, dont la construction suit Fordre analytique. Il est absolument nécessaire, pour qu'une proposition soit comprise, que la mémoire en réunisse et en présente à l'esprit tous les termes à la fois. Qu'on essaie de s'arrêter à la moitié ou aux trois quarts de quelque phrase que ce soit de notre langue, on verra que le sens ne se développe qu'au moment où l'esprit en saisit tous les termes. Témoin, sans multiplier les exemples, les dernières phrases qu'on vient de lire, et toutes celles qu'on voudra observer.

CHAPITRE VII.

Des Articles.

La signification vague des noms communs et appeltatifs, dont nous avons parlé ci-dessus, chap. W, n'a pas seulement engagé à les mettre en deux sortes de nombres, au singulier et au pluriel, pour la déterminer; elle a fait aussi que presque en toutes les langues on a inventé de certaines particules, appelées articles, qui en déterminent la signification d'une autre manière, tant dans le singulier que dans le pluriel. Les Latins n'ont point d'article: ce qui a fait dire sans raison à Jules-César Scaliger, dans son livre des Causes de la Langue latine, que cette particule était inutile, quoiqu'elle soit très-utile pour rendre le discours plus net, et éviter plusieurs ambiguités.

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Les langues nouvelles en ont deux : l'un qu'on appelle défini, comme le, la, en français ; et l'autre indé(fini, un, une.

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Ces articles n'ont point proprement de cas, non plus que les noms. Mais ce qui fait que l'article le semble en avoir, c'est que le génitif et le datif se font toujours au pluriel, et souvent au singulier, par une contraction des particules de et à, qui sont les marques de ces deux cas, avec le pluriel les, et le singulier le. Car au pluriel, qui est commun aux deux genres, on dit toujours au génitif des, par contraction de de les les rois, des rois, pour de les rois; et au datif aux pour à les: aux rois, pour à les rois, en ajoutant à la contraction le changement d'7, en u, qui est fort commun en notre langue, comme quand de mal on fait maux, de altus, haut, de alnus, aune.

:

On se sert de la même contraction et du même changement d'l en u au génitif et au datif du singulier, aux noms masculins qui commencent par une consonne. Car on dit du pour de le, du roi, pour de le roi; au 'pour à le, au roi, pour à le roi. Dans tous les autres masculins qui commencent par une voyelle, et tous les féminins généralement, on laisse l'article comme il était au nominatif; et on ne fait qu'ajouter de pour le génitif, et à pour le datif: l'état, de l'état, à l'état; la vertu, de la vertu, à la vertu.

Quant à l'autre article, un et une, que nous avons appelé indéfini, on croit d'ordinaire qu'il n'a point de pluriel. Et il est vrai qu'il n'en a point qui soit formé de lui-même ; car on ne dit pas, uns, unes, comme font les Espagnols, unos animales; mais je dis qu'il en a un pris d'un autre mot, qui est des avant les substantifs, des animaux ; ou de, quand l'adjectif précède, de beaux lits, etc., ou bien, ce qui est la même chose, je dis que la particule des ou de tient souvent au) plu

riel le même lieu d'article indéfini, qu'un au singulier.

Ce qui me le persuade, est que dans tous les cas, hors le génitif, pour la raison que nous dirons dans la suite, partout où on met un au singulier, on doit mettre des au pluriel, ou de avant les adjectifs.

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Un crime si horrible mérite la mort.

Des crimes si horribles, ou de si horribles crimes méritent la mort.

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un crime horrible.

des crimes horribles, ou d'horribles cri

mes.

pour un crime horrible.

pour des crimes horribles, ou pour d'horribles crimes.

à un crime horrible.

à des crimes horribles, ou à d'horribles crimes.

d'un crime horrible.

de crimes horribles, ou d'horribles cri

mes.

Remarquez qu'on ajoute à, qui est la particule du datif, pour en faire le datif de cet article, tant au singulier, à un, qu'au pluriel, à des; et qu'on ajoute aussi de, qui est la particule du génitif, pour en faire le génitif du singulier, savoir d'un. Il est donc visible que, selon cette analogie, le génitif pluriel devait être formé de même, en ajoutant de à des ou de ; mais qu'on ne l'a pas fait pour une raison qui fait la plupart des irrégularités des langues, qui est la cacophonie, ou mauvaise prononciation. Car de des, et encore plus de de, eût trop choqué l'oreille, et elle eût eu peine à souffrir qu'on eût dit : il est accusé de des crimes horribles, ou, il est accusé de de grands crimes. Et ainsi, sur la parole d'un ancien, impetratum est à ratione, ut peccare suavitatis causâ liceret (1).

Cela fait voir que des est quelquefois le génitif plu

(1) On lit dans le texte de Cicéron, à consuetudine. (Note de l'édit.)

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