Imágenes de páginas
PDF
EPUB

poésies de Boileau sont remplies. Ses détracteurs ont prétendu qu'il n'avoit pas su peindre des images douces et agréables. Je ne citerai qu'une description champêtre qui a sans doute servi d'exemple à l'élégant traducteur des Géorgiques. Le poëte, fatigué de la ville, va passer quelques jours dans une campagne. Son talent satirique paroît l'abandonner; il ne sait plus exprimer que le charme des objets dont ses yeux sont frappés :

C'est un petit village, ou plutôt un hameau,
Bâti sur le penchant d'un long rang de collines,
D'où l'œil s'égare au loin dans les plaines voisines.

La Seine coule au bas de ces coteaux; l'auteur peint les habitations des villageois creusées dans le roc:

La maison du Seigneur, seule un peu plus ornée,
Se présente au dehors de murs environnée.
Le soleil, en naissant, la regarde d'abord,
Et le mont la défend des outrages du nord.

Ici, ajoute le poëte :

Dans un vallon, bornant tous mes desirs,
J'achète à peu de frais de solides plaisirs.

Il fait ensuite le tableau des amusemens de la

campagne :

Quelquefois, aux appâts d'un hameçon perfide,
J'amorce, en badinant, le poisson trop avide,
Ou d'un plomb qui suit l'œil et part avec l'éclair,
Je vais faire la guerre aux habitans de l'air.
Une table, au retour, propre et non magnifique,
Me présente un repas agréable et rustique.

Boileau termine enfin ce charmant tableau par une imitation d'Horace : O rus, quando ego te aspiciam !

O fortuné séjour! ô champs aimés des cieux!
Que pour jamais, foulant vos prés délicieux,
Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde,
Et, connu de vous seuls, oublier tout le monde!

Une plus douce philosophie peut-elle être exprimée par des vers plus élégans? On doit examiner avec soin la peinture de la pêche et de la chasse, qui est un modèle de poésie descriptive.

La langue poétique étoit formée; mais elle n'auroit pas eu une influence assez forte sur la langue de la conversation. Celle-ci, au commencement du siècle de Louis xiv, étoit, dans la meilleure compagnie, pleine d'affectation et

de recherche. Les lettres et les poésies de Voiture avoient fait une espèce de révolution dans le langage familier. On avoit outré les défauts de cet auteur, à qui l'on avoit accordé une trop grande réputation. On ne savoit rien exprimer d'une manière naturelle ; on avoit banni une multitude de mots qui servent à exprimer nos idées habituelles; et l'on y avoit substitué des termes pompeux qui contrastoient d'une manière singulière, avec les objets dont on vouloit parler. Dans la galanterie, le langage étoit encore plus vicieux. Les romans de mademoiselle Scudéri, qui avoient alors un grand succès, avoient entièrement gâté ce langage, auquel nous avons donné depuis tant de grâce et de délicatesse. La naïveté de Marot eût été préférable à ce jargon inintelligible. Il falloit, pour détruire cet abus du bel-esprit, qu'il parût un homme dont le génie acquît assez d'empire sur son siècle pour livrer à un ridicule ineffaçable ces vaines recherches d'expressions, et ces subtilités métaphysiques qui avoient tant de partisans. Molière opéra ce changement en donnant les Précieuses ridicules. Pour avoir une idée de la difficulté qu'il dut éprouver, il faut se souvenir qu'à cette époque, le nom de précieuse étoit un titre honorable pour une femme,

et que madame de Sévigné et madame de la Fayette, dont l'esprit étoit si naturel et si éloigné de toute affectation, avoient été citées avec éloge dans un Dictionnaire des Précieuses. Aussi Molière eut-il soin d'appeler sa comédie les Précieuses ridicules, et proteste-t-il, dans sa préface, qu'il n'a pas voulu attaquer les véritables Précieuses. Cette pièce fit tomber absolument le faux bel-esprit de l'hôtel de Rambouillet. Ménage lui-même s'avoua vaincu. On doit remarquer que la comédie, qui débarrassa la langue françoise du fatras pédantesque dont elle étoit surchargée, fut un des premiers essais de Molière. Quels chefs-d'œuvres ne promettoit pas un tel ouvrage! Dans plusieurs de ses autres pièces,' il suivit toujours le même projet de corriger la langue et d'épurer le goût. Il fit abandonner aux médecins l'habitude du langage scientifique qui n'étoit pas à la portée de leurs malades; il contribua à former cette manière noble et simple de s'exprimer qui convient aux hommes de la cour; enfin il fit perdre à la bourgeoisie une certaine grossièreté qu'elle avoit conservée, malgré les prodiges de tous les arts offerts à ses yeux, et une crédulité aveugle qui la livroit à tous les fourbes qui cherchoient à la tromper. Dans une comédie-ballet, à laquelle il n'attachoit

presqu'aucune importance, on le voit persister dans le même dessein. Le Mariage forcé offre deux philosophes, l'un sceptique, l'autre partisan d'Aristote, qui étalent tout le jargon des anciennes écoles, et qui en font sentir le ridicule. Le langage mystique est imité dans Tartuffe avec une vérité qui étonne dans un homme qui devoit peu fréquenter les dévots. Mais c'est dans le premier acte de sa comédie du Misantrope, et dans les Femmes savantes, qu'il se montra encore plus le défenseur du bon goût. A la première représentation du Misantrope, le parterre fut un moment à balancer s'il trouveroit bon ou mauvais le sonnet d'Oronte. Gela prouve combien la majorité du public étoit encore séduite par le faux goût. L'excellent esprit de Molière se montre dans la critique qu'il fait faire par Alceste. Ce grand observateur avoit senti que toute pensée fausse ne pouvoit être bien exprimée :

Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon naturel et de la vérité;

Ce n'est que jeu de mots, qu'affectation pure,
Et ce n'est pas ainsi que parle la nature.

Je ne quitterai point cette admirable pièce, sans rappeler que jamais meilleur ton ne fut in

« AnteriorContinuar »