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quelques phrases incorrectes; mais, en général, sa prose est élégante, naturelle, et sur-tout parfaitement assortie aux personnages qu'il fait parler; ses vers sont pleins d'énergie et de verve. On a remarqué qu'aucun poëte n'avoit senti, mieux que lui, l'harmonie des vers libres. Amphitryon peut être regardé comme un modèle dans ce genre.

po

Les habitudes adoptées dans le monde, la litesse qu'on voit régner, le soin que prennent les personnes bien élevées d'éviter les ridicules, l'absence, ou du moins la dissimulation de quelques vices difformes, sont l'ouvrage de Molière. La langue françoise ne lui doit pas moins. Ce grand homme mérita donc, sous tous les rapports, l'éloge du père Bouhours:

Tu réformas et la ville et la cour etc.

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Regnard, qui fut le successeur de Molière, l'égala quelquefois dans la gaîté du style. On remarque même dans cet auteur des alliances de mots comiques que l'auteur du Misantrope n'a pas connues. Mais quelle différence entre Molière et Regnard, pour la conception des pièces, pour les vues morales, et pour le fonds des idées ? Molière ne doit jamais ses plaisanteries à un bon mot isolé; il les puise dans son sujet;

elles naissent de la situation, et leur effet est toujours sûr. Regnard, au contraire, s'abandonne à sa gaîté naturelle; il place les mots plaisans sans faire une distinction toujours juste de leur convenance. Il fait rire, mais il s'éloigne quelquefois de la vraisemblance, et ne donne pas aux connoisseurs cette satisfaction complette qu'ils trouvent dans les ouvrages du père de la comédie. Le caractère des deux auteurs explique cette différence. Molière étoit profond observateur, et par conséquent triste dans le monde; son tempérament étoit bilieux, son esprit irascible. Regnard étoit épicurien ; il ne voyoit que des plaisanteries à faire sur les travers de la société ; il saisissoit plutôt le côté bouffon que le côté ridicule d'un personnage. De là ses rôles un peu chargés, et le défaut absolu de cette énergie qu'avoit Molière.

Le style de Regnard est plein de facilité et de grâces; mais on y relève quelques négligences échappées à la paresse de l'auteur. Malgré ces défauts, on lira toujours avec plaisir les vers du Joueur, du Distrait, et la prose comique et piquante du Retour imprévu. Dufréni, que les comédiens ont mal-à-propos banni du théâtre, n'a pas égalé Regnard, mais son style est spirituel et comique, quoiqu'un peu affecté.

Nous avons vu les grands poëtes du siècle de Louis XIV s'exercer dans la poésie noble, et dans celle qui a pour objet de peindre les ridicules et les travers des hommes. On auroit pu regretter le genre naïf des siècles précédens, si La Fontaine, digne contemporain des Corneille, des Racine et des Molière, n'avoit su faire entrer dans ses fables la manière perfectionnée de Marot, et le petit nombre de bonnes plaisanteries que l'on trouve dans Rabelais. La Fontaine jouit dans son temps, des suffrages qu'il avoit mérités, quoique des raisons étrangères à la littérature l'aient privé des bienfaits de Louis XIV. Dans le dix-huitième siècle, on l'a élevé beaucoup plus haut. Quelques littérateurs ont prétendu qu'il étoit le génie le plus étonnant du grand siècle, et par une inconséquence assez ordinaire aux philosophes modernes, ils ont fait de lui un être impassible, et guidé par son seul instinct. Enfin, pour rendre cette idée, ils l'ont nommé fablier (1), c'est-à-dire un arbre qui porte des fables.

Cet auteur n'étoit point tel que quelques litté

(1) Madame de la Sablière lui avoit donné ce nom, qui ne fut jamais considéré par elle-même, que comme une plaisanterie de société. Dans le dix-huitième siècle, on se souvint

rateurs modernes ont voulu nous le représenter. Comme tous les bons poëtes du siècle de Louis xiv, il travailloit beaucoup ses ouvrages. Ses distractions continuelles étoient produites par l'attention constante qu'il donnoit à ses poésies. Quand, pour aller à l'Académie, il disoit qu'il prenoit le chemin le plus long, c'étoit pour s'occuper seul de quelque idée qui le tourmentoit. Les anecdotes de sa vie privée, qu'on a beaucoup exagérées, ne prouvent rien contre la manière dont il faisoit ses ouvrages. « Je vous » donnerai ces deux livres de La Fontaine, » dit madame de Sévigné, et quand vous de>vriez vous mettre en colère, je vous dirai qu'il » y a des endroits jolis et d'autres ennuyeux. On >> ne veut jamais se contenter d'avoir bien fait, » et, en voulant mieux faire, on fait plus mal ». Ce témoignage d'une femme qui fut la protectrice de La Fontaine me paroît irrécusable. Il répond victorieusement à l'idée fausse que dans le dix-huitième siècle on s'est formée de ce poëte.

On a depuis long-temps fait sentir le charme

de cette anecdote, et on la prit au sérieux. Il est assez singulier de voir Chamfort dire sentencieusement à l'Académie françoise: Le fablier devoit porter des fables.

des

des meilleures fables de La Fontaine. Les Animaux malades de la peste, les deux Pigeons, etc. ont exercé plusieurs commentateurs qui en ont fait remarquer toutes les beautés. J'examinerai une fable dont la réputation est moins grande, et je m'efforcerai de faire connoître la manière de La Fontaine.

LE LOUP ET LES BREBIS.

Après mille ans et plus de guerre déclarée,
Les loups firent la paix avecque les brebis.
C'étoit apparemment le bien des deux partis;
Car si les loups mangeoient mainte bête égarée,
Les bergers de leur peau se faisoient maints habits.
Jamais de liberté, ni pour les pâturages,

Ni d'autre part pour les carnages.

Ils ne pouvoient jouir qu'en tremblant, de leurs biens.
La paix se conclut donc, on donne des otages,
Les loups leurs louveteaux, et les brebis leurs chiens.
L'échange en étoit fait aux formes ordinaires,

Et réglé par des commissaires.

Au bout de quelque temps, que messieurs les louvats
Se virent loups parfaits et friands de tuerie,
Ils vous prennent le temps que dans la bergerie
Messieurs les bergers n'étoient pas,

Étranglent la moitié des agneaux les plus gras,
Les emportent aux dents, dans les bois se retirent.
Ils avoient averti leurs gens secrètement;

Les chiens qui, sur leur foi, reposoient sûrement,

L

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