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du style qu'on doit employer dans la métaphysique. L'auteur a partagé les erreurs de Descartes ; il n'a pas assez réprimé les écarts d'une brillante imagination; mais il a développé de grandes vérités morales, et n'est jamais tombé dans l'obscurité et dans la sécheresse des idéologues modernes. Toutes les opinions de Mallebranche ont quelque chose de sublime : son systême élève la nature humaine, et la sépare de ce la matière a de vil et de grossier. Il pense que les rapports de nos esprits avec Dieu sont naturels, nécessaires, indispensables; et que les rapports de nos esprits avec nos corps ne le sont point. Les foiblesses inévitables de l'homme sont attribuées à la dégénération d'un état plus parfait. En cela Mallebranche rentre dans les idées de Pascal sur le péché originel. Selon l'auteur de la Recherche de la Vérité, les sens ne sont donnés à l'homme que pour conserver son corps, et pour le garantir des dangers dont il est environné. Si l'homme se livre à leur impulsion, soit pour contenter sa curiosité, soit pour trouver des plaisirs, il ne peut que commettre des erreurs. De notre impuissance à lutter contre nos sens, résultent les égaremens et les crimes de l'humanité. Les preuves de ce systême sont tirées des nombreuses erreurs de nos

sens. Deux hommes ne sentent pas l'un comme l'autre ; il y a autant de différence dans les sensations que dans les formes des individus. Les sens nous trompent sur l'étendue, la figure et la nature des objets. Ils sont fidèles et exacts pour nous instruire des rapports que les corps qui nous environnent ont avec le nôtre; mais ils sont incapables de nous apprendre ce que ces corps sont en eux-mêmes. Il faut se servir des sens pour conserver sa santé et sa vie ; mais on ne peut trop les mépriser quand ils veulents'élever jusqu'à soumettre l'esprit. On voit que cette philosophie ramène à toutes les idées morales qui assurent la durée et le bonheur des sociétés elle apprend à vaincre les orages sens, et à consulter une raison indépendante du plaisir et de la douleur. Il peut y avoir des erreurs dans l'ensemble de cette doctrine; mais du moins ces erreurs ne peuvent être d'aucun danger. Le style de Mallebranche répond à la sublimité de ses idées; remarquez avec quelle éloquence il peint l'incertitude de l'homme qui veut percer des mystères supérieurs à la raison humaine. « On appréhende avec sujet, dit-il, » de vouloir pénétrer trop avant dans les ou» vrages de Dieu : on n'y voit qu'infinité par>>tout; et non-seulement nos sens, notre ima->

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dégagé qu'il est de la matière, est trop gros» sier et trop foible pour pénétrer le plus petit » des ouvrages de Dieu. Il se perd, il se dissipe, » il s'éblouit, il s'effraye à la vue de ce qu'on appelle un atôme, selon le langage des sens; » mais toutefois l'esprit pur a cet avantage sur » les sens et sur l'imagination, qu'il reconnoît » sa foiblesse et la grandeur de Dieu, et qu'il » aperçoit l'infini dans lequel il se perd; au » lieu que nos sens rabaissent les ouvrages de » Dieu, et nous donnent une sotte confiance

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qui nous précipite aveuglément dans l'erreur». Cette modestie d'un esprit supérieur, cette clarté dans les idées, cette éloquence dans la diction, ne sont-elles pas bien au-dessus du style ordinaire de nos Traités de Matérialisme, où la présomption imprudente de l'homme est aussi repoussante que l'obscurité et la sécheresse de ses pensées ?

Le tableau complet des mœurs et des travers du siècle de Louis XIV fut fait par un homme que l'on peut regarder comme le plus grand observateur qui ait existé. La Bruyère composa ce recueil unique dans son genre, des réflexions que les premières classes de la

société purent fournir à un esprit doué du tact le plus délicat, sur les nuances des devoirs de l'homme, et sur les convenances de mours. On pourroit reprocher quelques erreurs de goût à ses réflexions sur les ouvrages d'esprit. L'ancienne réputation de Rabelais, de Ronsard et de Théophile avoit pu l'égarer; mais ce qu'il dit sur les hommes, sur les femmes, sur la cour, sur les usages, sur les jugemens, sur les esprits forts, est un modèle de raison et de justesse. Son style est vif et naturel ; le tour de ses phrases est varié et original, quoique l'auteur n'ait jamais cherché ces manières de s'exprimer pointilleuses auxquelles on a depuis donné le nom de trait dans le style. La Bruyère fut, comme tous les grands hommes de son siècle, le défenseur de la religion. Ses argumens contre les esprits forts ont quelque rapport avec ceux de Pascal. Il a fait un chapitre sur le cœur. Vous

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chercheriez en vain cette sensibilité minutieuse qui a été si à la mode dans le dixhuitième siècle. La Bruyère, en parlant de l'amour, n'a pas cette emphase, ces expressions exagérées que nous avons données aux passions. Ses idées sont toujours simples et vraies : il ne s'aveugle point sur le bonheur que donne l'amour : «< On veut faire, dit-il, tout le bonheur

»ou, si cela ne se peut ainsi, tout le malheur de » ce qu'on aime ». Son chapitre sur le souverain contient quelques idées qui nous auroient épargné bien des malheurs, si les novateurs les avoient méditées. Elles prouvent que les grandes pensées politiques n'étoient pas, comme on a voulu le faire croire, étrangères aux écrivains du siècle de Louis XIV. Les jeunes gens qui se destinent à la diplomatie, doivent lire avec attention la digression de la Bruyère sur les fonctions des ambassadeurs. Ils y trouveront déve loppés, avec une sagacité étonnante, tous les moyens de réussir dans une négociation. Dans un temps où l'on a voulu soumettre tout à des principes généraux, où les écrivains politiques se sont plus occupés de systêmes sur l'humanité, que de projets utiles le bien de leur pays, pour on a dit que la Bruyère avoit eu de petites vues, parce que sa morale s'appliquoit aux François seulement, et non à tous les hommes. Molière, qui n'a peint que des courtisans, des bourgeois de Paris, et des provinciaux, avoit-il de petites vues?

Les Maximes du duc de la Rochefoucault sont loin de pouvoir être comparées aux Caractères. Le style de cet ouvrage a beaucoup de

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port avec celui des écrivains du dix-huitième

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