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» a formées; il jette sur un Dieu crucifié des » regards affreux, et qui laissent douter si c'est » la crainte ou l'espérance, la haine ou l'amour » qu'ils expriment ; il entre dans des saisisse» mens où l'on ignore si c'est le corps qui se dis» sout, ou l'âme qui sent l'approche de son juge; >> il soupire profondément, et l'on ne sait si » c'est le souvenir de ses crimes qui lui arrache » ces soupirs, ou le désespoir de quitter la vie; » enfin au milieu de ces tristes efforts, ses yeux » se fixent, ses traits changent, son visage se » défigure; sa bouche livide s'entr'ouvre d'elle» même ; tout son corps frémit; et, par ce dernier effort, son âme infortunée s'arrache » comme à regret, de ce corps de boue; tombe » entre les mains de Dieu, et se trouve, seule, >> au pied du tribunal redoutable ».

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Il faudroit des pages de commentaire pour faire sentir toutes les beautés de ce morceau sublime. L'antiquité n'a rien à lui comparer. Massillon peint ensuite la mort du juste avec autant de douceur qu'il a mis de force à tracer la fin du réprouvé. Toutes les consolations entourent le lit de mort de l'homme vertueux ; il quitte une terre d'exil, pour jouir d'un bonheur éternél. «< Plus le corps se détruit, dit l'orateur, plus l'esprit se dégage et se renouvelle : sem

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blable à une flamme pure qui s'élève et paroît

plus éclatante à mesure qu'elle se dégage d'un >> reste de matière qui la retenoit, et que le » corps où elle étoit attachée se consume et se dissipe ». Outre cette éloquence entraînante qui tient au style nombreux et périodique, Massillon avoit de ces traits sublimes qui ne s'expriment que par quelques mots. Louis XIV venoit de mourir; ce roi, si grand aux yeux des hommes, avoit disparu de la terre qu'il avoit remplie du bruit de sa gloire. Massillon fait son éloge funèbre, et commence ainsi : Dieu seul est grand, mes frères !

Une cause put ajouter à l'effet des sermons de Massillon. Il les prononça devant Louis XIV dans des temps de malheurs, lorsque ce colosse de grandeur s'écrouloit, et sembloit expier devant Dieu l'orgueil de ses anciennes victoires. Massillon prêcha ensuite devant Louis xv, âgé de dix ans. C'est dans ces sermons, qui portent le nom de Petit Carême, et qui sont proportionnés à l'âge du jeune Prince, que l'on trouve cette morale douce, ces grâces touchantes, ce tendre intérêt que Massillon seul a su joindre à l'éloquence religieuse.

Massillon peut être compté parmi les grands moralistes, et, sous ce rapport, être mis à côté

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de la Bruyère. On trouve fréquemment dans ses Sermons des portraits frappans qui annoncent la plus profonde connoissance du cœur humain ; il peint l'homme du siècle, désabusé de tout, insupportable à lui-même et à ceux qui l'entourent. «Jetez les yeux vous-même, dit-il, sur » une de ces personnes qui ont vieilli dans les » passions, et que le long usage des plaisirs a » rendus également inhabiles et au vice et à » toutes les vertus. Quel nuage éternel sur l'hu>> meur! quel fond de chagrin et de caprice! » Rien ne plaît, parce qu'on ne sauroit plus » soi-même se plaire: on se venge sur tout ce qui >> nous environne des chagrins secrets qui nous » déchirent; il semble qu'on fait un crime au >> reste des hommes de l'impuissance où l'on est » d'être encore aussi criminel qu'eux; on leur reproche en secret ce qu'on ne peut plus se » permettre à soi-même, et l'on met l'humeur à

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la place des plaisirs ». Est-il possible de mieux peindre le vide affreux qu'éprouve, lorsqu'il vieillit, l'homme qui n'a confié son bonheur qu'à des jouissances frivoles et passagères ?

Fénélon est regardé comme un auteur religieux, puisque la plus grande partie de ses ouvrages a la religion pour objet. Moins éloquent que Massillon, dans la chaire, il se distingua par

des ouvrages d'un genre différent. Observateur profond, moraliste plein de douceur dans son livre de l'Education des Filles, politique et religieux dans la direction de la conscience d'un roi, moins piquant, mais plus instructif que Lucien dans les Dialogues des Morts, rival de Cicéron dans les Dialogues sur l'éloquence, et digne élève d'Homère dans Télémaque, il eut un charme, un abandon dans le style, qui lui furent particuliers, qui ne peuvent se sentir que par une lecture suivie, et qui, par conséquent, ne sauroient être indiqués dans des

citations isolées.

L'oraison funèbre étoit plus favorable à l'éloquencé que les sermons. Le sujet étoit fixé d'une manière certaine : la pompe funèbre de l'église, le deuil des auditeurs, la mort d'un personnage illustre; tout devoit inspirer à l'orateur des idées touchantes et élevées. Fléchier eut, pendant sa vie, de grands succès dans cette carrière; mais ses Oraisons funèbres, tant de fois citées dans les rhétoriques, ne sont peut-être pas dignes de l'admiration que leur accorde Rollin, lorsqu'il les met presqu'au-dessus des discours de Bossuet. Fléchier prodigue trop les antithèses, il sacrifie quelquefois la justesse d'une idée au desir de faire une période arrondie; enfin il

épuise souvent une belle pensée par une abondance de mots qui ne flatte que l'oreille. On pense donc qu'il ne faut le proposer pour modèle aux jeunes gens, qu'avec des correctifs et des restrictions. Il paroît sur-tout nécessaire de leur indiquer les faux brillans qui peuvent les éblouir plus facilement que des beautés réelles. On doit cependant excepter de ce jugement, peut-être trop sévère, l'éloge de Turenne; les défauts y sont beaucoup plus rares que dans les autres ouvrages de Fléchier, et l'on y trouve des beautés du premier ordre.

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Je terminerai cette longue suite des auteurs qui ont fleuri dans le grand siècle, par Bossuet, le dernier père de l'Église, qui fut aussi illustre comme historien comme théologien, que comme orateur. Ses Variations des églises protestantes sont un ouvrage plein de force et de méthode, où l'auteur prouve invinciblement que la religion catholique n'a éprouvé aucune altération depuis la primitive église, et qu'au contraire, les différentes sectes qui l'ont déchirée, n'ont jamais eu de dogmes fixes. Le Discours sur l'Histoire universelle est un modèle dans un genre absolument nouveau. On y voit les générations se succéder et se chasser, pour ainsi dire, les unes les autres ; les rois sont précipités du

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