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de la Bruyère. On trouve fréquemment dans ses Sermons des portraits frappans qui annoncent la plus profonde connoissance du cœur humain ; il peint l'homme du siècle, désabusé de tout, insupportable à lui-même et à ceux qui l'entourent. «<Jetez les yeux vous-même, dit-il, sur » une de ces personnes qui ont vieilli dans les passions, et que le long usage des plaisirs a >> rendus également inhabiles et au vice et à > toutes les vertus. Quel nuage éternel sur l'hu» meur! quel fond de chagrin et de caprice! » Rien ne plaît, parce qu'on ne sauroit plus » soi-même se plaire: on se venge sur tout ce qui » nous environne des chagrins secrets qui nous » déchirent; il semble qu'on fait un crime au » reste des hommes de l'impuissance où l'on est » d'être encore aussi criminel qu'eux ; on leur >> reproche en secret ce qu'on ne peut plus se » permettre à soi-même, et l'on met l'humeur à

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la place des plaisirs ». Est-il possible de mieux peindre le vide affreux qu'éprouve, lorsqu'il vieillit, l'homme qui n'a confié son bonheur qu'à des jouissances frivoles et passagères ?

Fénélon est regardé comme un auteur religieux, puisque la plus grande partie de ses ouvrages a la religion pour objet. Moins éloquent que Massillon, dans la chaire, il se distingua par

des ouvrages d'un genre

différent. Observateur profond, moraliste plein de douceur dans son livre de l'Education des Filles, politique et religieux dans la direction de la conscience d'un roi, moins piquant, mais plus instructif que Lucien dans les Dialogues des Morts, rival de Cicéron dans les Dialogues sur l'éloquencé, et digne élève d'Homère dans Télémaque, il eut un charme, un abandon dans le style, qui lui furent particuliers, qui ne peuvent se sentir que par une lecture suivie, et qui, par conséquent, ne sauroient être indiqués dans des citations isolées.

L'oraison funèbre étoit plus favorable à l'éloquence que les sermons. Le sujet étoit fixé d'une manière certaine : la pompe funèbre de l'église, le deuil des auditeurs, la mort d'un personnage illustre; tout devoit inspirer à l'orateur des idées touchantes et élevées. Fléchier eut, pendant sa vie, de grands succès dans cette carrière ; mais ses Oraisons funèbres, tant de fois citées dans les rhétoriques, ne sont peut-être pas dignes de l'admiration que leur accorde Rollin, lorsqu'il les met presqu'au-dessus des discours de Bossuet. Fléchier prodigue trop les antithèses, il sacrifie quelquefois la justesse d'une idée au desir de faire une période arrondie; enfin il

épuise souvent une belle pensée par une abondance de mots qui ne flatte que l'oreille. On pense donc qu'il ne faut le proposer pour modèle aux jeunes gens, qu'avec des correctifs et des restrictions. Il paroît sur-tout nécessaire de leur indiquer les faux brillans qui peuvent les éblouir plus facilement que des beautés réelles. On doit cependant excepter de ce jugement, peut-être trop sévère, l'éloge de Turenne; les défauts y sont beaucoup plus rares que dans les autres ouvrages de Fléchier, et l'on y trouve des beautés du premier ordre.

Je terminerai cette longue suite des auteurs qui ont fleuri dans le grand siècle, par Bossuet, le dernier père de l'Église, qui fut aussi illustre comme historien comme théologien, , que comme orateur. Ses Variations des églises protestantes sont un ouvrage plein de force et de méthode, où l'auteur prouve invinciblement que la religion catholique n'a éprouvé aucune altération depuis la primitive église, et qu'au contraire, les différentes sectes qui l'ont déchirée, n'ont jamais eu de dogmes fixes. Le Discours sur l'Histoire universelle est un modèle dans un genre absolument nouveau. On y voit les générations se succéder et se chasser, pour ainsi dire, les unes les autres ; les rois sont précipités du

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haut de leurs trônes dans l'abyme de l'éternité; la politique des peuples, leurs victoires, leurs résolutions, tout enfin se conforme aux volontés d'un Dieu qui préside constamment à ces grandes catastrophes de l'espèce humaine. L'auteur peint d'un seul trait les caractères des princes, la législation des États, les opinions des peuples, et il en tire une conclusion sublime sur la fragilité des grandeurs de l'homme. « Ainsi, » dit-il au Dauphin, quand vous voyez passer, » comme en un instant devant vos yeux, je ne » dis pas les rois et les empereurs, mais ces >> grands empires qui ont fait trembler tout l'uni» vers; quand vous voyez les Assyriens anciens » et nouveaux les Mèdes, les Perses, les » Grecs, les Romains, se présenter devant vous » successivement, et tomber, pour ainsi dire, » les uns sur les autres; ce fracas effroyable >> vous fait sentir qu'il n'y a rien de solide parmi » les hommes, et que l'inconstance et l'agita» tion sont le propre partage des choses hu» maines ». Bossuet peint en profond politique les causes de la chute de l'empire des Perses. Les soldats de Darius étoient plongés dans la mollesse ; mais suivant les expressions de l'évêque de Meaux, l'armée des Grecs, médiocre à la vérité, pouvoit être comparée à ces corps

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vigoureux où il semble que tout soit nerf, et où tout est plein d'esprits. La décadence de l'empire romain offre à Bossuet de nouveaux moyens de développer ses grandes vues sur la prospérité. et la ruine des États. Montesquieu, dans un de ses meilleurs ouvrages, a imité Bossuet; il a puisé dans le Discours sur l'Histoire universelle, l'ensemble général de son livre, et une foule d'idées lumineuses; mais, avec le talent le plus distingué, il n'a pu égaler son modèle, soit par la disposition des faits, soit par la manière de les peindre, soit par la profondeur et la justesse des réflexions.

Bossuet, après avoir cherché, d'après la politique humaine, les causes des grandes révolutions, rapporte tout aux décrets de l'Être éternel qui dispose des empires. Cette conclusion a un caractère de sublimité auquel ne pourront jamais atteindre les narrations qui n'ont pour objet que de retracer les fureurs et les folies des hommes. « Ce long enchaînement des causes » particulières, dit Bossuet, qui font et défont » les empires, dépend des ordres secrets de la » divine Providence. Dieu tient, du plus haut » des cieux, les rênes de tous les royaumes. » Il a tous les cœurs en sa main ; tantôt il retient » les passions, tantôt il leur lâche la bride; et

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