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les autres à faciliter aux enfants, aux dames et aux étrangers l'étude des langues, et surtout de la française.

M. Duclos est un de ceux qui ont le plus senti la nécessité de secouer le joug importun de la routine et des préjugés. Non seulement il a reconnu la vérité et l'utilité de ce système, mais encore il s'est attaché à l'exposer de la manière la plus nette et la plus satisfaisante. Le P. Buffier (1) a fait la même chose avant lui.

« Ce nouveau système de lecture, dit M. Restaut (2), est beaucoup plus simple et plus avantageux que l'ancien les maîtres ne doivent pas balancer d'en faire usage préférablement à l'autre, pour l'utilité de la jeunesse. »

« Cette pratique, dit M. Du Marsais (3), facilite extrêmement la liaison des consonnes avec les voyelles pour en faire des syllabes: fe, a, fa, fe, re, i, fri; en sorte que épeler, c'est lire. M. Du Mas, par son bureau typographique, a beaucoup contribué à faire connaître cette dénomination, que l'on suit aujourd'hui, même dans les petites écoles. >>

M. l'abbé Goujet dit (4) qu'il ne voit pas que M. Restaut ait profité, comme M. l'abbé de Dangeau, le P. Buffier, M. Du Mas et quelques autres, de la méthode du sieur de Launay.

Comment peut-on supposer que l'abbé de Dangeau et le P. Buffier ont profité d'une méthode qui n'a été imprimée (5) que nombre d'années après les Essais de l'académicien (6), et après la Grammaire du jésuite (7)? Il eût été plus juste de dire que le méthodiste avait profité, comme M. l'abbé de Dangeau et le P. Buffier, de la nouvelle méthode professée ici par Messieurs de Port-Royal pour apprendre à lire.

C'est ce qu'a fait avec succès M. Berthaud, maître de pension à Paris, auteur du Quadrille des enfants, méthode aussi ingénieuse qu'utile, adoptée par les dames de Saint

(1) N° 797.

(2) Page 29.

(3) Encyclopédie au mot consonne.

(4) Bibliothèque française, tome I, page 108.

(5) En 1719.

(6) En 1694 et en 1700.

(7) En 1708.

Cyr pour l'instruction des jeunes demoiselles qui leur sont confiées. Cette dernière méthode qui paraît formée d'après les idées hieroglyphiques de M. de Vallange, amuse les enfants, facilite et hâte leurs progrès, leur fournit les moyens de se redresser lorsqu'ils se trompent, et leur apprend la prononciation et l'orthographe,

Pour apprendre la langue chinoise, il faut d'abord apprendre à connaître la signification des caractères; mais on doit, autant qu'il est possible, y joindre la prononciation de chaque mot chinois qui y répond, et s'accoutumer à lire. La lecture vous apprend la phrase chinoise et la prononciation vous apprend les cinq tons de la langue. Si vous allez à la Chine, vous serez estimé ou méprisé des mandarins, selon qu'ils vous verront lire, et qu'ils vous entendront parler correctement et délicatement la langue mandarinique, c'est-àdire, la langue des seigneurs et des magistrats. Ce sont les tons qui déterminent les significations. On sait que dans toutes les langues le ton change le sens des phrases: à la Chine, il faut être bien attentif à la prononciation et au ton de chaque mot, sans quoi il est impossible d'entendre celui qui parle. Les cinq tons chinois répondent à peu près aux notes, ut, ré, mi, fa, sol; mais, selon M. Fourmont, cette gamme ne serait pas juste, parce que les dictionnaires ont donné un ordre différent aux tons: ainsi il vaut mieux se conformer à l'usage, et se servir des signes toniques qui sont employés par les doctes chinois dans leurs ouvrages sur la langue.

SECONDE PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.

Observations préliminaires sur la Langue parlée et sur la Langue écrite.

<< Rien n'est plus digne de notre admiration et de nos réflexions, que le don divin de la voix et de l'écriture (1).

<< Par quel art ingénieux la parole se produit-elle pour mettre la raison en évidence? et combien faut-il que de parties dif férentes, au premier commandement de l'âme, se réunissent et concourent ensemble pour former la voix (2)?

« J'ai en moi-même une pensée que je voudrais communiquer, ou quelques doutes dont je désirerais être éclairci : rien de plus spirituel, ni par conséquent de plus éloigné des sens que la pensée. Quel organe, quel véhicule pourra donc la faire passer jusqu'aux personnes qui m'environnent? Si je n'en puis venir à bout, renfermé en moi-même, réduit à moi seul, privé de tout commerce, de tout entretien, de toute consolation, je souffre des tourments inexprimables. La compagnie la plus nombreuse, le monde entier même, n'est pour moi qu'une affreuse solitude. La divine Providence m'a épargné toutes ces peines, en m'inspirant d'attacher mes idées à des sons par une mécanique naturelle qu'on ne peut assez admirer. Au moment même, et dans l'instant précis

(1) Voyez Rollin, Histoire ancienne, tome XI, partie II, p. 570. (2) Traité des études, t. I, page 240.

que je veux communiquer ma pensée, le poumon, le gosier, la langue, le palais, les dents, les lèvres et une infinité de muscles et de fibres qui en dépendent et en font partie, se mettent en mouvement et exécutent mes ordres avec une rapidité qui prévient presque mes désirs. L'air sorti de mon poumon, diversifié et modifié en une infinité de manières, suivant la diversité de mes sentiments, va porter le son dans l'oreille de mes auditeurs, et leur apprend tout ce que je veux qu'ils sachent.

<< C'est une seconde merveille presqu'aussi admirable que la première, d'avoir trouvé le moyen, par des figures tracées sur le papier, de parler aux yeux aussi bien que l'on parle aux oreilles, de fixer une chose aussi légère que la parole, de donner de la consistance aux sons, et de la couleur aux pensées. >>

Phænices primi, famæ si creditur, ausi
Mansuram rudibus vocem signare figuris.

Ces beaux vers de Lucain (1) ont été ainsi rendus par Brébeuf:

C'est de là que nous vient cet art ingénieux
De peindre la parole et de parler aux yeux,

Et par les traits divers de figures tracées,

Donner de la couleur et du corps aux pensées (2).

(1) Livre III, vers 220.

(2) « Ces quatre vers sont fort estimés, dit M. l'abbé de Bernis *, cependant le troisième est très-faible, et les règles exactes de la langue ne sont point observées dans le quatrième. Il faudrait dire, de donner de la couleur, etc., non pas donner. »

Ce sont là apparemment les raisons qui ont porté M. l'abbé d'Olivet à réformer les deux derniers vers de la façon suivante :

Qui, par les traits divers de figures tracées,
Donne de la couleur et du corps aux pensées.

Je ne sais si l'on aimerait mieux cette autre traduction, qui est moins vive:

C'est du Phénicien que nous vient l'art d'écrire,

Cet art ingénieux de parler sans rien dire,
Et par les traits divers que notre main conduit,
D'attacher au papier la parole qui suit.

* Discours en tête de ses Poésies (diverses.

« Ex hacne tibi terrenâ mortalique naturâ et caducâ concretus is videtur, qui sonos vocis, qui infiniti videbantur, paucis litterarum notis terminavit (1)? Regardez-vous comme composé d'une matière terrestre, mortelle et corruptible, celui qui, dans un petit nombre de caractères, a renfermé tous les sons que la voix forme, et dont la diversité paraissait inépuisable? >>

<< Cette invention, dit Théodoret, nous met en état de converser avec les absents, de faire passer jusqu'à eux nos pensées et nos sentiments, malgré la distance infinie des lieux.

« La langue, qui est le premier instrument de l'organe de la parole, n'a point de part dans ce commerce également utile et agréable : la main instruite par l'usage à former des caractères sensibles, nous prête son ministère; et toute muette qu'elle est, elle se rend l'interprète de nos pensées et devient le véhicule de nos discours (2) : Sermonis vehiculum est non os, nec lingua, sed manus. »

Des opérations de l'esprit et des vrais fondements
de la Grammaire.

Pour bien penser et pour bien exprimer ses pensées, il ne suffit pas de concevoir, de juger et de raisonner, il faut encore arranger avec une certaine méthode, ses concepts ou ses idées, ses jugements et ses raisonnements: c'est ce qui fait que les philosophes distinguent ordinairement quatre sortes de pensées ; mais comme la troisième et la quatrième ne sont qu'une extension de la seconde, on peut réduire les quatre à l'idée et au jugement. M. l'abbé de Pont (3) y ajoute le sentiment.

<< J'entends par sentiment, dit-il, les différentes modifications de notre âme, ses passions, ses affections. Ce genre de pensées est, poursuit-il, moins connu des philosophes que des gens de lettres. >>

Selon le P. Bougeant (4), philosophe vraiment lettré, « par

(1) Tuscul. I, pages 24 et 25.

(2) Théodoret, de Provid. oral. 4.

(3) Pages 35 et 150 de ses OEuvres, chez Prault.

(4) Amusement philosophique sur le langage des bêtes.

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