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ler, c'est se faire entendre par une suite de mots articulés, par lesquels les hommes sont convenus d'exprimer telle idée ou tel sentiment,»

L'auteur de la logique dédiée à M. le Dauphin ne veut pas que l'on confonde l'idée avec le sentiment, parce que l'une appartient à l'esprit, et l'autre au cœur. «Le jugement et le goût, dit-il (1), sont une même faculté de l'âme on appelle cette faculté goût, quand l'âme juge par sentiment et à la première impression que les choses font; on nomme cette faculté jugement, quand l'âme juge par raisonnement et sur des principes dont elle tire des conséquences. >>

<«< Le sentiment, la sensation et la perception, dit M. l'abbé Girard (2), désignent l'impression que les objets font sur l'âme; mais le sentiment va au cœur, la sensation s'arrête aux sens, et la perception frappe l'esprit. »

Dans ses judicieuses et intéressantes considérations sur les mœurs, M. Duclos observe (3) « que toutes les facultés de l'âme se réduisent à sentir et penser, que nos plaisirs consistent à aimer et connaître : il ne faudrait donc que régler et exercer ces dispositions pour rendre les hommes utiles et heureux par le bien qu'ils feraient et qu'ils éprouveraient eux-mêmes.»

M. l'abbé Terrasson (4) trouve « qu'il y a bien de la différence entre sentir une chose et la penser, entre la savoir et la dire. »

<< La pensée est l'ouvrage de l'esprit, le sentiment est l'ouvrage du cœur, dit M. l'abbé Le Batteux (5); l'une éclaire, l'autre échauffe; par l'une on voit l'objet, par l'autre on le sent. Dieu est bon, voilà une pensée ; que Dieu est bon! voilà un sentiment. La pensée et le sentiment vont presque toujours de compagnie dans les ouvrages de goût. La lumière est avec la chaleur, la chaleur est avec la lumière, et les degrés s'en varient à l'infini. »

<< Il y a dans notre esprit deux sortes de pensées (6), l'une

(1) M. l'abbé Cochet, Préface, page 18.

(2) Synonymes.

(3) Tome I, page 28.

(4) Philosophie de l'esprit et des mœurs, page 132.

(5) Cours de belles-lettres, tome I, note préliminaire, page 62. (6) Cours de belles-lettres, lettre seconde à M. l'abbé d'Olivet.

qui représente les objets, et l'autre qui en représente les rapports, dit le même auteur d'où il résulte deux sortes de mots, le nom et le verbe, à quoi il ajoute la conjonction. »

:

Cela ressemble beaucoup à ce qu'on lit dans la Grammaire du P. Buffier, no 69. « Le nom et le verbe sont les plus essentielles parties du langage, puisque tout langage se réduit à exprimer le sujet dont on parle et ce qu'on en affirme.

« Le nom et le verbe sont susceptibles de diverses circonstances ou modifications. Si je dis, le zèle agit, voilà un nom et un verbe sans aucune modification; mais si je dis, le zèle sans prudence agit témérairement, voilà le nom et le verbe chacun avec une circonstance ou modification. » Ce Père appelle cette dernière sorte de mots modificatifs, il y comprend l'adverbe, la préposition et la conjonction.

Ainsi le nom, le verbe et les modificatifs sont les trois espèces de mots qui partagent en général les parties du langage dans sa Grammaire. Ce qui l'a empêché d'ajouter pour quatrième partie les termes faits pour suppléer à plusieurs des trois espèces de mots précédents, « c'est, dit-il, que ces trois espèces sont les seules essentielles à toute langue, et que ce qui y est ajouté, est ordinairement arbitraire et différent dans les nations et les langues différentes. »

Le P. Buffier, pour garder un ordre qui lui paraît plus natarel, 1o parle des mots pris en particulier, selon les trois espèces qu'il a indiquées; savoir : le nom, le verbe et les modificatifs. C'est à peu près sur quoi roulent les vingt-trois premiers chapitres de la seconde partie de la Grammaire générale, où l'on traite de tout ce qui regarde la signification des mots.

2o Il parle des mots unis ensemble dans la suite du discours, par le moyen de la syntaxe et du style: c'est sur quoi roule le vingt-quatrième et dernier chapitre de cette même seconde partie de la Grammaire générale, où l'on traite de l'arrangement des mots.

3o Il parle des mots représentés aux yeux par le moyen de l'orthographe.

4° Enfin des mots articulés de vive voix par le moyen de la prononciation. C'est sur ces deux points que roulent les six

chapitres de la première partie de la Grammaire générale, où l'on traite de la nature des sons écrits et prononcés. Ce plan est nouveau par le tour que le P. Buffier y a donné et par la manière dont il l'a exécuté, mais il n'est pas assurément le plus naturel; «< car, comme le remarque M. Boindin (1), la plupart des choses que l'on y trouve dès le commencement, en supposent d'autres qui ne viennent que dans la suite, et dont la connaissance est nécessaire pour entendre les premières. Par exemple (2), au lieu de commencer par l'élémentaire, c'està-dire, par les sons de la langue et les caractères qui servent à les désigner, au lieu d'en déterminer le nombre, la valeur et les différents usages, il renvoie ces notions préliminaires à la seconde, à la troisième et à la quatrième partie de l'ouvrage, où elles se trouvent éparses et tout-à-fait déplacées. »>

Le P. Buffier n'admet pour règles et pour principes des langues vivantes, que l'usage; et sa Grammaire n'en est au fond que plus philosophique. On la lit avec utilité et avec plaisir, dans les endroits même où l'on ne pense pas comme lui.

Mais en examinant de près la première partie, qui est le fondement des trois autres, on y reconnaît le système de l'objet et de la forme des pensées, si bien établi à la fin du premier chapitre de la seconde partie de la Grammaire générale: système que cet habile jésuite a pourtant exposé bien différemment.

<< Tous les mots d'une langue ne sont que des modificatifs du nom et du verbe : on peut s'en convaincre, dit-il, par l'exemple suivant (1):

« Un homme qui étourdit les gens qu'il rencontre, par de frivoles discours, a coutume de causer beaucoup d'ennui à tout le monde. >>

Dans cette phrase, tous les mots sont pour modifier le nom homme et le verbe a coutume : « cela est si vrai, ajoute-t-il, que toute cette phrase pouvait être exprimée par ces mots, un babillard ennuie. » Si le P. Buffier avait dit : tous les mots

(1) Sons de la langue, page 39. (2) Sons de la langue, page 39. (3) N° 158.

d'une langue servent à exprimer ou les objets de nos pensées ou les modes de nos pensées, et qu'en conséquence il eût partagé les mots en objectifs et en modificatifs, ce système eût été le même que celui de Port-Royal, avec cette différence pourtant que Port-Royal considère le nom comme signifiant l'objet, et le verbe comme signifiant le mode de notre pensée, au lieu que le P. Buffier confond le nom et le verbe dans une seule et même classe distinguée des modificatifs. D'ailleurs les noms et les verbes pouvant devenir eux-mêmes des modificatifs, la dernière des trois espèces comprend nécessairement les deux autres. Ainsi ce jésuite ne paraît pas avoir rencontré juste, en appliquant (1) à la pratique les principes qui, de son aveu, ont été ingénieusement exposés et réduits à des notions plus exactes qu'à l'ordinaire, dans la Grammaire gènérale et raisonnée.

<< En toute langue, en toute construction, dit M. Du Marsais (2), il y a une justesse à observer dans l'emploi que l'on fait des signes destinés par l'usage pour marquer non seulement les objets de nos idées, mais encore les différentes vues sous lesquelles l'esprit considère ces objets. L'article, les prépositions, les conjonctions, les verbes avec leurs différentes inflexions, enfin tous les mots qui ne marquent point des choses, n'ont d'autre destination que de faire connaître ces différentes vues de l'esprit, òu, comme dit la Grammaire raisonnée, les divers regards de notre esprit sur les choses (3). »

Du nombre des mots qui signifient les objets de nos pensées, M. Du Marsais a rayé l'article et la préposition, qui ne marquent point des choses, et il les a transférés au rang des mots qui signifient les manières de nos pensées, ou les différentes vues de notre esprit. C'est un habile maître, qui, en adoptant le système, y a suppléé par toutes les corrections dont il l'a cru susceptible, pour en faire la pierre angulaire de son

(1) N° 8.

(2) Voyez le mot article dans l'Encyclopédie.

(3) L'abbé Fromant donne ici une fausse interprétation à ce passage de la Grammaire générale, qu'il altère en le citant: Concevoir n'est autre chose qu'une simple vue de notre esprit sur les choses. Voyez page 46 de cette édition. (Note de l'Editeur.)

nouvel édifice grammatical; mais il aurait dû citer les auteurs, et ne pas s'emparer d'une si belle portion de leur bien sans avouer qu'il la tenait d'eux. M. Duclos, qui n'avait fait d'abord aucune remarque sur ce chapitre, a mis l'équivalent de la présente réflexion au bas du texte : elle échappera moins au lecteur.

M. Restaut aurait dû approfondir et se rendre propre ce point essentiel, ce principe fondamental, sur quoi roule toute la métaphysique des langues ses définitions seraient plus exactes, et sa Grammaire serait beaucoup plus propre à former la raison des jeunes gens; ce qui paraît être un des principaux buts de cet estimable auteur.

Dans les Vrais principes de la langue française, M. l'abbé Girard met une distinction si marquée entre l'idée objective des mots, et l'idée modificative de leur emploi, qu'il est étonnant qu'il n'ait pas saisi et relevé ce beau principe de l'objet et du mode de nos pensées. Il y a dans le livre de cet acadé– micien quantité de réflexions utiles, ingénieuses, originales; mais il y a bien du faux dans les principes qu'il a donnés pour vrais, et bien du vrai dans les principes de Port-Royal qu'il s'est efforcé de réfuter comme faux.

CHAPITRES II, III ET IV.

Des noms Substantifs et Adjectifs. Des noms Propres, et des noms Appellatifs ou Généraux.

Du nombre Singulier et du nombre Pluriel.

Ce que M. Du Marsais dit de l'abstraction à la fin de son excellent livre des Tropes, et surtout dans l'Encyclopédie, paraît bien propre à éclaircir ce qui est dit de la nature des noms dans la Grammaire générale et raisonnée. On en jugera par l'extrait suivant :

« L'abstraction est une opération de l'esprit, par laquelle, à

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