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Dire que l'article se met avant les noms, cela est trop général; très-souvent le nom se met sans article d'ailleurs il s'ensuivrait que les prépositions seraient des espèces d'articles, car on les met avant les noms. Bien plus, avancer que l'article fait connaître le genre, le nombre et le cas des noms, c'est avancer une chose insoutenable.

«La connaissance du genre ne dépend pas de l'article, car les noms propres ne prennent point d'article, les autres noms le rejettent en certaines occasions; leur genre y'est néanmoins très-connu, dit fort bien M. l'abbé Girard »(1).

L'article ne fait pas connaître le nombre, car c'est la terminaison ou la lettre finale qui fait connaître le nombre de l'article aussi bien que des noms. On n'a certainement pas besoin de l'article pour savoir que métaux, messieurs, plaisirs sont au pluriel, et que désir, dame, métal sont au singulier; et même, à l'égard du prétendu article indéfini, c'est le nom qui en fait connaître le nombre. Dans cet exemple, les mœurs de notre siècle ne sont qu'un assemblage de vices, le mot de, que M. Restaut nous donne là pour un article distingué de celui qu'il appelle défini, n'est par lui-même d'ancun nombre. Si de pouvait être déterminé au singulier ou au pluriel, il ne le serait que par le mot siècle ou par le mot vices.

Le cas ne peut pas être connu par l'article, puisque notre langue ne connaît point de cas, ni pour l'article, ni pour les noms ; et de l'aveu de M. Restaut, on doit regarder de et à, non comme des marques de cas, mais comme de véritables prépositions; car de quelque manière qu'ils soient employés, et à quelques mots qu'ils soient joints, ils expriment quelques rapports, de même que les autres prépositions.

L'article ne détermine point l'étendue de la signification des mots, et je le prouve.

L'article n'annonce que d'une manière vague ce que le nom spécifie bien précisément; l'article ne détermine done point la signification du nom, c'est le nom au contraire qui détermine la signification de l'article. L'auteur de la Grammaire méthodique (2) a raison de dire que les articles ne sont déter(1) Tome I, page 156.

(2) Page 85.

minés que par les différentes significations des mots auxquels ils sont joints. En effet, quand vous dites : l'homme sage prend garde à ce qu'il dit et à ce qu'il fait; cet homme est bien prudent, le, cet, sont des expressions qui indiquent d'une façon incertaine et générale ce que le mot homme présente d'une façon fixe et particulière.

« Les adjectifs prépositifs le, la, les, marquent le mouvement de l'esprit qui se tourne vers l'objet particulier de son idée, dit M. Du Marsais (1); ils désignent donc des individus déterminés dans l'esprit de celui qui parle: mais, lorsque cette première détermination n'est pas aisée à être aperçue par celui qui lit ou qui écoute, ce sont les circonstances ou les mots suivants qui ajoutent ce que l'article ne saurait faire entendre.>>

« Si je veux borner mon idée, et ne l'appliquer qu'à certains individus ou qu'à un seul, dit M. l'abbé d'Olivet (2), ce ne sera pas l'article qui opèrera cet effet, mais ce sera le mot même avec une restriction, ou tacite, ou exprimée; restriction tacite, qui naît des circonstances où je parle, comme quand je dis, à Paris, le roi, on voit assez que j'entends le roi de France; restriction exprimée on par un adjectif, les hommes vertueux modèrent leurs passions, ou par un pronom suivi d'un verbe, les hommes qui aiment l'étude sont avares de leurs temps. »

Le même académicien (3) définit l'article « une sorte de pronom adjectif qui s'accorde en genre et en nombre avec un nom qu'il doit précéder, et dont il détermine la signification. >>

Il ne faudrait, ce semble, que retrancher le dernier membre de cette définition, pour la rendre exacte.

L'article est une sorte de pronom lorsqu'il précède un verbe, et par conséquent lorsqu'il précède un nom : Avez-vous lu la Grammaire nouvelle ? Non, je la lirai bientôt. Pourquoi voudrait-on que la ne fût pas de même nature dans ces deux endroits? D'ailleurs la plupart des pronoms adjectifs ne se mettent-ils pas, ainsi que les articles, devant le nom? Ce, quelque, plusieurs, dit la Grammaire raisonnée (4), les noms (1) Voyez Encyclopédie.

(2) Opuscul. grammat., page 17. (3) Ibid., page 97.

(4) Chapitre 10.

de nombre, comme deux, trois, etc., tout, nul, aucun, etc., ne produisent-ils pas le même effet que les articles? Tout pronom démonstratif est, ainsi que l'article, un vrai préparatoire à la dénomination, il l'annonce avant qu'elle se présente elle-même : donc, selon M. l'abbé Girard même (1), l'article est une espèce de pronom; mais, dit M. l'abbé d'Olivet, on l'a nommé par excellence article, parce qu'il est d'un plus fréquent usage que les autres pronoms.

En effet (2), c'est du pronom latin ille, illa, illud, que sont tirés les articles français aussi bien que les articles italiens et espagnols; car de la première syllabe de ille, les Français ont fait leur pronom personnel il, les Italiens leur article il, dont les Espagnols ont fait el; de la dernière syllabe du pronom ille, ils ont fait leur article masculin le; de la dernière syllabe d'illa ces trois nations ont fait leur article féminin la; et de la dernière syllabe d'illud, qui se prononce comme loud adouci, en supprimant le d et l'u, les Italiens et les Espagnols ont fait leur article masculin lo.

Puisque l'article est une sorte de pronom adjectif, il doit naturellement, selon la règle générale des adjectifs, s'accorder en genre et en nombre avec le nom auquel il est joint; et ce nom devant lequel se met l'article, n'est pas toujours un nom substantif; on sait que les articles se mettent quelquefois avant les noms adjectifs : ces adjectifs sont, ou seuls, ou accompagnés.

Les simples adjectifs, lorsqu'ils sont éloignés de leur substantif, et qu'ils servent à spécifier une différence, admettent l'article pour marquer un sens distributif : j'aime la bonne compagnie, mais je crains et je hais la mauvaise; si ce sont deux sœurs que la langue italienne et l'espagnole, celle-ci est la prude, l'autre est la coquette.

L'adjectif joint à un nom propre, ou le précède, ou le suit : s'il le précède, il énonce une qualité qui pourrait être commune à plusieurs ; s'il le suit, il exprime nne qualité distinctive. Quand je dis, Cicéron soupa chez le riche Luculle (3),

(1) Tome I, page 159.

(2) R. Estienne, Grammaire française, en 1569, page 21. Nouvelle méthode italienne, page 16.

(3) M. l'abbé d'Olivet, Opuscul. grammat., page 13.

je donne seulement à Luculle da qualité de riche qualité qui peut lui être commune avec d'autres personnes; mais si je disais chez Luculle le riche, je supposerais qu'il y a plusieurs Luculle, desquels celui-ci est distingué par ses richesses.

Les différents exemples cités par M. l'abbé Girard (1), prouvent incontestablemeet que a et de servent à indiquer le rapport d'une chose à une autre; ces deux mots sont donc partout vraies prépositions, et ne sont pas plus articles ou particules dans une circonstance que dans l'autre.

Le même académicien (2) fait d'inutiles efforts pour distinguer de préposition d'avec de particule je pense, comme M. Du Marsais, que dans cette phrase, offrir de l'argent de bonne grâce, et dans les autres de la même espèce, il y a ellipse, c'est-à-dire, suppression de quelques mots qu'il faut restituer, pour pouvoir donner une explication exacte et raisonnée de toute la phrase. Le premier de indique un rapport extractif, non entre offrir et l'argent, mais entre ces deux mots sous-entendus, une partie et l'argent; c'est comme si on disait offrir une partie de l'argent, ou quelque chose de l'argent. De est une préposition, car elle donne au sens un `tour d'extrait, ou, ce qui est la même chose, elle indique un rapport extractif; elle a pour complément l'argent, dont elle restreint l'acception, d'où elle marque que l'on tire une partie pour l'offrir de bonne grâce; par conséquent l'argent est sous le régime direct et immédiat de la première préposition de, comme ces deux mots sous-entendus une partie sont sous le régime direct et immédiat du verbe offrir.

L'article partitif, que La Touche, le P. Buffier et M. Restaut paraissent avoir formé d'après la particule de partition de la Grammaire raisonnée (3), ne me semble pas plus bizarre que la particule extractive de M. l'abbé Girard. On trouve dans cet endroit des Vrais principes (4), autant de confusion et de galimatias qu'il en reproche aux Grammairiens précédents.

(1) Tome I, page 180.

(2) Tome II, page 216.

(3) Seconde partie, chapitre 4.

(4) Tome I, page 185, etc.

De n'est jamais ni article partitif, ni particule extractive; il est toujours préposition. Quand on dit, de très-habiles gens sont quelquefois dupés pur des sots, c'est comme si on disait, un nombre de très-habiles gens sont quelquefois dupés par une partie des sots; pardonnez à qui veut vous nuire, c'està-dire, pardonnez à la personne qui veut vous nuire; recevez de qui veut vous donner, c'est-à-dire, recevez de la personne qui veut vous donner; il ne s'amuse point à de la créme fouettée, quand il peut s'attacher à de la viande solide, c'est comme s'il y avait, il ne s'amuse pas à une portion de la créme fouettée, quand il peut s'attacher à une portion de la viande solide.

La Grammaire générale dit (1) qu'avant les substantifs on met des, des animaux, et qu'on met de quand l'adjectif précède, de beaux lits; mais cette règle n'est pas générale, car dans le sens qualificatif indéfini on se sert de la simple préposition dé, même devant le substantif, surtout quand le nom qualifié est précédé du prépositif un; et l'on met des ou de les, quand le mot qui qualifie est pris dans un sens individuel : les lumières des philosophes anciens (2), ou des anciens philosophes, ont été fort utiles aux nouveaux.

A l'occasion de la préposition de, « il (3) est bon de remarquer que jamais il n'y a, et jamais il ne doit y avoir redoublement de préposition pour les parties d'un seul et même complément. Tout adjectif uniquement employé pour qualifier, et nécessairement uni à son substantif pour ne faire avec lui qu'un seul complément, loin d'exiger cette répétition, la rejette formellement. Dans cet exemple, c'est la coutume des peuples les plus barbares, l'adjectif les plus barbares n'y est employé que pour qualifier le substantif peuples, et faire avec lui le complément du rapport entre la coutume et les peuples. Si l'article les y est répété, et joint à l'adverbe plus, c'est pour mettre cet adjectif au suprême degré de comparaison; mais lorsqu'on place un adjectif pour ajouter un second rapport au premier, alors cet adjectif devenant nouveau

(1) Page 68.

(2) Encyclopédie, du Marsais.

(3) L'abbé Girard, tome II, page 220.

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