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CHAPITRE XII.

Des Adverbes.

M. l'abbé Girard prétend que les adverbes sont établis pour modifier, que leur caractère essentiel consiste à être de simples modificatifs. Mais ce caractère n'est pas tellement propre à l'adverbe, qu'il ne convienne à presque tous les autres mnots; car, de l'aveu de cet auteur, la dénomination, la désignation, l'évènement et le calcul sont des idées modificatives qui caractérisent les substantifs, les pronoms, les adjectifs, les verbes et les nombres. Il ajoute que l'indication du rapport déterminatif, ou la préposition, devient une nouvelle idée modificative. Si ce Grammairien ne s'était jamais permis de rien avancer dans son ouvrage sans avoir fait un examen profond et rigoureux, s'il s'était servi toujours de l'analyse et des règles de la plus exacte logique, comme il nous l'assure, le parti le plus vrai qu'il avait à prendre était de ne parler de l'adverbe qu'après avoir parlé de la préposition; il aurait trouvé alors tout naturellement la définition de l'adverbe; «< car, comme dit M. Du Marsais, la préposition marque une sorte de relation générale, une espèce de rapport indéterminé, et ce rapport ainsi énoncé sans application particulière, est ensuite fixé, appliqué, déterminé par le nom dont la préposition est suivie. La préposition et le nom réunis forment l'adverbe: avec prudence, prudemment; avec courage, courageusement, etc. >>

Un même mot peut être, selon différentes acceptions, adverbe, préposition et conjonction, comme après : il vint après, après vous, après que j'eus parlé.

L'adverbe se joint à un verbe, à un participe, à un adjectif, à un adverbe et à un nom qualificatif. Aimer bien, bien aimé, bien aimable, bien agréablement, être véritablement roi.

On peut dire que l'adverbe a de lui-même un sens complet, au lieu que la préposition n'a d'elle-même qu'un sens incomplet, parce qu'elle suppose nécessairement à sa suite et sous son régime un ou plusieurs mots qui en font le complément et en forment le sens entier (1). La préposition exprime un rapport incomplet, et l'adverbe un rapport complet; ce que fait aussi l'adjectif, en quoi il équivaut à l'adverbe, et est vrai modificatif, selon le P. Buffier, car il marque une circonstance ou une qualité de l'objet, et il s'emploie quelquefois au lieu de l'adverbe. On dit fort bien: fidèle, il tint sa parole, au lieu de dire il tint fidèlement sa parole; parler haut, chanterjuste, frapper fort, au lieu de hautement, justement, avec justesse, fortement.

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M. Restaut n'a pas suffisamment réformé la définition défectueuse qu'il avait donnée de ces deux parties d'oraison ; il aurait dû prendre la peine de refondre certains endroits, afin de pouvoir mettre la préposition à sa place naturelle, c'est-àdire, avant l'adverbe, dont il ne paraît pas avoir encore une notion assez exacte, puisqu'il met dans la classe des adverbes des mots qui ne peuvent pas être réduits à une préposition suivie de son complément: tels sont, non, ne, oui, qu'il faut ranger parmi les conjonctions ou les particules qui ont des usages particuliers. L'abbé Regnier (2) avait besoin d'être rectifié à ce sujet : on y réussirait plutôt en suivant M.. Du Marsais que M. l'abbé Girard (3), qui appelle ces particules discursives, assertives, c'est-à-dire, interjections.

Entre les onze à douze sortes d'adverbes que l'on distingue dans l'Encyclopédie, les adverbes de lieu m'ont paru mériter une attention particulière.

Il y a quatre manière d'envisager le lieu; on peut le regarder: 1° comme le lieu où l'on est, où l'on demeure; 2o comme le lieu où l'on va; 3° comme le lieu par où l'on passe; 4o comme le lieu d'où l'on vient. C'est ce que les Grammairiens appellent, in loco, ad locum, per locum, de loco; autrement, ubi, quò, quà, undè. Les auteurs des Rudiments

(1), Voyez l'abbé Girard, tome II, page 181.

(2) Page 539.

(3) Tome II, pages 316 et 320.

nomment ces quatre derniers mots les quatre questions de lieu, et ils les rangent un peu différemment; mais cela n'importe.

Quand on fait cette question, ubi est? où est-il? et que l'on répond, ibi est, il est là, ubi et ibi, où et là, sont adverbes: car la question ubi, où, équivaut à in quo loco, en quel lieu; et la réponse ibi, là, équivaut à in hoc loco, en ce lieu, hic, ici où je suis, istic, où vous êtes, illic, là où il est.

Quand on fait cette question, quò vadis? où allez-vous? et que l'on répond, cò, là, quò et où, eỏ et là, sont adverbes : quò équivaut à ad quem locum, eò équivaut à in hunc locum, etc., húc, ici, istùç, là où vous êtes, illùc, là où il est.

Quand on fait cette question, quà ibo? par où irai-je ? l'on peut répondre, hàc, par ici, istàc, par là où vous êtes, illàc, par là où il est.

Quand on fait cette question, undè venis ? d'où venez-vous? l'on peut répondre, inde, de là, hinc, d'ici où je suis, istinc, de là où vous êtes, illinc, de là où il est.

Quà et hàc sont des adverbes; par où et par ici sont des équivalents d'adverbes, qui signifient par quel endroit, par cet endroit, per quem locum, per hunc locum.

Unde et inde sont des adverbes; d'où et de là, sont des équivalents d'adverbes, ou des prépositions avec leur complément: de quel endroit, de quo loco; de cet endroit, ex hoc loco, etc.

Il y a des mots qui renferment la valeur d'une préposition et de son complément, et qui outre cela font l'office de conjonction, comme quia, parce que, quapropter, c'est pourquoi on les appelle adverbes conjonctifs.

Examinons, avec M. Du Marsais (1), plusieurs phrases où l'on emploie d'une manière singulière bien, beaucoup, et quelques autres mots qui passent pour adverbes de quantité :

1o Il a de l'argent, il a bien de l'argent, etc.

2o Il a beaucoup d'esprit, il n'a point d'esprit, etc. L'argent, l'esprit, etc., peuvent être regardés comme des individus spécifiques; alors chacun de ces individus est considéré comme un tout dont on peut tirer une portion. Ainsi, il

(1) Voyez Regnier, page 72; Buffier, no 333; Girard, tome II, page 240.

a de l'argent, de l'esprit, c'est-à-dire, il a une portion de ce tout qu'on appelle argent, esprit, etc. Il a bien de l'esprit, etc., c'est la même analogie.

Credo ego illic inesse auri et argenti largiter (1), en sousentendant xpña, rem auri, je crois qu'il y a là bien de l'or et de l'argent bien est adverbe comme largiter, et a la même signification, largement, en abondance.

A l'égard de il a beaucoup d'argent, d'esprit, etc., il n'a point d'argent, d'esprit, etc., il faut observer que ces mots, beaucoup, peu, pas, point, rien, sorte, espèce, tant, moins, plus, que (venant de quantùm), ne sont point des adverbes, ils sont de véritables noms, du moins dans leur origine, et c'est pour cela qu'ils sont modifiés par un simple modificatif indéfini, qui n'étant point pris individuellement, n'a pas besoin d'article; il ne lui faut que la simple préposition pour le mettre en rapport avec beaucoup, peu, rien, pas, point, sorte, etc. Beaucoup vient, selon Nicot, de bella copia; ainsi d'argent, d'esprit, sont des qualificatifs de coup: il a abondance d'argent, d'esprit; il est meilleur de beaucoup, c'est-àdire, selon un beau coup, dit Ménage. Peu signifie petite quantité; en latin, avec parùm, on sous-entend ad ou per, et on dit parumper, comme on dit tecum. Ainsi nous disons un peu de vin, comme les Latins disaient parùm vini; de même que vini qualifie parùm substantif, de même aussi de vin, complètement précédé de la préposition de, qualifie le substantif un peu, qui signifie une petite quantité.

Je laisse plusieurs autres excellentes observations que l'on peut lire dans l'Encyclopédie, au mot article. Ce chefd'œuvre de métaphysique grammaticale est plein de discussions profondes et de détails raisonnés, qui, malgré leur longueur, ne paraissent ni diffus, ni obscurs. J'en dis autant de tout ce qui est sorti de la plume de cet habile écrivain (2); c'est une justice que je lui dois, et que je lui rends de tout

mon cœur.

(1) Plaut. Rudens, acte IV, scène IV, v. 146.

(2) Du Marsais. (Note de l'Editeur.)

CHAPITRES XIII ET XIV.

Des Verbes. - Des Personnes et des Nombres.

Il est bon de se rappeler ici une observation importante que nous avons faite dans le Supplément, au premier chapitre de cette seconde partie.

Parmi les signes destinés dans une langue à marquer les objets de nos pensées, on ne doit placer que les mots qui marquent des choses: or, l'article et la préposition ne marquent point des choses. La Grammaire raisonnée aurait donc dù réserver ces deux parties d'oraison pour les mettre au rang des mots qui signifient les manières de nos pensées, c'est-àdire, les divers regards de notre esprit sur les choses (1), ou, selon l'expression de M. Du Marsais, les différentes vues sous lesquelles l'esprit considère les objets.

Comme le participe tient de la nature du nom et de celle du verbe, comme il réunit l'objet et la forme de la pensée, MM. de Port-Royal ont eu raison de ne parler de cette espèce de mot qu'après avoir expliqué ce qui regarde le verbe.

Jules-César Scaliger, dans son traité De causis linguæ latinæ (2), ne reconnaît que deux sortes de verbes, l'actif et le passif, qui se réduisent au verbe substantif est. Sanctius adopte ce sentiment dans sa Minerve (3). La Méthode latine de Port-Royal, seconde édition (4), avait suivi ces deux auteurs on définissant le verbe, un mot qui signifie être, agir ou pâtir; mais la même Méthode, huitième édition (5), fait consister l'essence de cette espèce de mot dans la seule affirmation, conformément à la Grammaire générale et raisonnée, seconde partie, chap. 13.

(1) Même observation qu'à la page 277. (Note de l'Editeur.)

(2) Livre III, ehapitre LXXII.

(3) Livre III, chapitre II.

(4) Page 17.

(5) Page 458.

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