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et la forme des mots, ou les lois particulières de la construction, est exposé dans le courant de chaque discours fait sur chacune des parties d'oraison; mais dans le troisième discours, M. l'abbé Girard (1) ne parle que du régime constructif, c'est-à-dire, de la place et de la forme des membres de la phrase, ou de ce qui concerne les lois générales de la construction.

Dans les langues transpositives, dit-il, l'arrangement des membres de la phrase semble presque arbitraire, il suit la force de l'imagination: l'on y fait ordinairement précéder ce dont on est le plus frappé, ou ce dont on veut d'abord porter l'image dans l'esprit des auditeurs; de plus, la terminaison, ou ce qu'on nomme cas, y produit des variations dans la forme, selon la diversité des fonctions.

Dans les langues analogues, telles que la nôtre, la terminaison ne sert point à distinguer les membres de phrase; ainsi le régime de construction n'a guère recours à celui de concordance, qu'en ce qui regarde le verbe.

L'arrangement des membres de la phrases, ou le régime dispositif, supplée à ce que la terminaison ne fait pas. Le régime constructif en tire tous les moyens de parvenir à son but. Voilà pourquoi rien, ou peu de choses d'arbitraire, à l'égard de l'ordre grammetical: il est presque toujours décidé, quoiqu'il ne soit pas toujours le même; il varie, mais cette variation est de règle, et dépend principalement de trois sortes de formes, dont la phrase est susceptible, selon qu'elle est, ou expositive, ou impérative, ou interrogative, l'arrangement de ses parties en reçoit différentes influences, auxquelles se réduit en détail le régime constructif des membres de la phrases et tout ce qu'on en peut dire se trouve renfermé dans dix règles claires et précises, qui, quelque nouvelles qu'elles paraissent, ne sont pourtant que le bon usage attentivement considéré et méthodiquement rendu à ce que prétend M. l'abbé Girard; on en peut juger par la lecture de cet endroit dans le livre même, il se donne pour un auteur (2) qui ose parler le vrai langage de la Grammaire française, et qui

(1) Tome I, page 128. (2) Tome I, page 129.

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procure à notre langue, en métaphysique, presque le même triomphe que l'illustre et vénérable M. de Fontenelle lui a fait remporter si glorieusement dans le physique; il se flatte que son zèle, accusé d'abord de témérité, sera assez heureux pour produire de sages retours sur les principes du vrai. Ce que ce digne Académicien avait prévu est arrivé, et M. Du Marsais, qui avait commencé par s'attacher à le critiquer, a fini par s'appliquer à l'imiter, et même à le surpasser, dans la composition de l'ouvrage grammatical destiné à l'Encyclopédie. Le traité de la Construction en particulier est digne de l'attention de tous les connaisseurs ; l'application qu'il fait de ses principes à l'Idylle des Moutons, de Me Deshoulières, me paraît un chef-d'œuvre en ce genre.

« Il y a, dans les langues, différence et uniformité : différence dans le vocabulaire ou la nomenclature qui énonce les noms des objets et ceux de leurs qualificatifs, dans les terminaisons qui sont les signes de l'ordre successif des corrélatifs, dans l'usage des métaphores, des idiotismes, des tours de la construction; il y a uniformité, en ce que partout la pensée à énoncer est divisée par les mots qui en représentent les parties, et que ces mots ont des signes de relations. »>«< Mais je 'crois, dit ce grammairien philosophe, qu'on ne doit pas confondre construction avec syntaxe, parce que construction ne présente que l'idée de combinaison et d'arrangement. Cicéron a dit, selon trois combinaisons différentes, accepi litteras tuas, tuas accepi litteras, et litteras accepi tuas. Il y a là trois constructions, puisqu'il y a trois différents arrangements de mots; cependant il n'y a qu'une syntaxe, car dans chacune de ces constructions, il y a les mêmes signes des rapports que les mots ont entr'eux : ainsi ces rapports sont les mêmes dans chacune de ces phrases. Chaque mot de l'une indique également le même corrélatif qui est indiqué dans chacune des deux autres, en sorte que quand on a achevé de lire ou d'entendre chacune de ces propositions, l'esprit voit également que litteras est le déterminant d'accepi, que tuas est l'adjectif de litteras: ainsi chacun de ces trois arrangements excite dans l'esprit un seul et même sens, j'ai reçu votre lettre. Or ce qui fait en chaque langue que les móts excitent le sens

que l'on veut faire naître dans l'esprit de ceux qui savent la langue, c'est ce qu'on appelle Syntaxe.

« La Syntaxe est donc la partie de la Grammaire, qui donne la connaissance des signes établis dans une langue, pour exciter un sens dans l'esprit.

« Ces signes, quand on en sait la destination, font connaître les rapports successifs que les mots ont entr'eux : c'est pourquoi, lorsque celui qui parle ou qui écrit, s'écarte de cet ordre par des transpositions que l'usage autorise, l'esprit de celui qui écoute, ou qui lit, rétablit cependant tout dans l'ordre en vertu des signes dont nous parlons, et dont il connaît la destination par l'usage.

« La construction est l'arrangement des mots dans le dis

cours.

<< Il y a en toute langue trois sortes de constructions qu'il faut bien remarquer, la construction simple ou naturelle, la construction figurée et la construction usuelle. »

Tout ce que M. Du Marsais dit à ce sujet, tant dans sa Méthode raisonnée que dans l'Encyclopédie, mérite d'être lu et relu sérieusement par les maîtres qui se mêlent de montrer la Grammaire et les humanités.

<< Il est nécessaire d'observer, dit ce Grammairien philosophe, qu'il y a entre nos idées un rapport d'identité, et un rapport de détermination (1). ·

« L'adjectif, aussi bien que le verbe, ne sont au fond que le substantif même considéré avec la qualité que l'adjectif énonce, ou avec la manière d'être que le verbe attribue au substantif. Ainsi l'adjectif et le verbe doivent énoncer les mêmes accidents de Grammaire que le substantif a énoncés d'abord, c'est-à-dire que si le substantif est au singulier, l'adjectif et le verbe doivent être au singulier, puisqu'ils ne sont que le substantif même considéré sous telle ou telle vue de l'esprit. Il en est de même du genre, de la personne, du cas dans les langues qui ont des cas: tel est l'effet du rapport d'identité, c'est le fondement de la concordance. Exemple (2) une femme vertueuse inspire du respect aux

(1) Préface, page 13.

(2) Voyez l'Encyclopédie.

et

hommes les moins vertueux. On dit vertueuse, parce que femme est un substantif féminin singulier, avec qui le verbe inspire s'accorde en nombre comme en personne ; et l'on dit vertueux, parce que hommes est un substantif masculin pluriel, etc. Un nom substantif ne peut déterminer que trois sortes de mots: 1o un autre nom; 2o un verbe; 3° une préposition.

Globus solis omnia luce collustrat, le globe du soleil éclaire tout par sa lumière. Le nom substantif solis détermine un autre nom qui est globus, il fait entendre de quel globe il s'agit. Le nom luce détermine la préposition cum, sous-entendue, ou plutôt incorporée au verbe collustrat. Avec quoi, par quoi le soleil éclaire-t-il tout? à quo? cum quo? luce, avec sa lumière, par sa lumière.

Un Dieu tout-puissant a créé le monde. Ces mots, un Dieu tout-puissant a créé, ont un rapport d'identité : ils ne présentent qu'un même objet qui est Dieu, considéré par rapport à la qualité de tout-puissant, et par rapport à sa manière d'être, qnand il a manifesté cette qualité. Le monde n'a point de rapport d'identité avec un Dieu tout-puissant a créé, mais il a un rapport de détermination avec le verbe a créé, il détermine et fait connaître ce que je dis qu'un Dieu tout-puissant a créé. Le rapport de détermination est le fondement du régime. Le rapport d'identité n'exclut pas le rapport de détermination : quand je dis Dieu tout-puissant, tout-puissant modifie, détermine Dieu; cependant il y a un rapport d'identité entre Dieu et tout-puissant, puisque ces deux mots n'énoncent qu'un même objet; mais le monde n'a que le rapport de détermination avec Dieu, et n'a pas celui d'identité.

Les divers rapports se marquent en français par la place des mots, et en latin par les cas, c'est-à-dire, par la diversité des terminaisons, qui, dans un même mot, ont chacune leur destination particulière. Deus creavit mundum, Dieu a créé le monde. Mundum, le monde, est à l'accusatif, non pas parce que creavit, a créé, le gouverne, mais parce que mumdum, le monde, est l'objet ou le terme de l'action du verbe creavit, a créé : c'est le sens, et non le verbe, qui gouverne les cas. Il serait indifférent qu'on dît en latin, Deus

creavit mundum, ou mundum creavit Deus, le sens est le même; mais en français, Dieu a créé le monde, ou le monde a créé Dieu, font deux sens bien différents, parce qu'en cette langue c'est la place des mots qui détermine leurs rapports. Voilà les seuls principes d'où M. Du Marsais tire toutes les règles de la syntaxe qui est établie dans une langue, pour marquer les différents rapports de concordance ou de régime que les mots ont entre eux, selon la liaison des idées qu'ils expriment. Voyez l'exposition de sa Méthode raisonnée (1), et son traité de la Construction dans l'Encyclopédie.

Puisqu'un homme très-instruit de notre langue, puisqu'un académicien, tel que M. Duclos, élevé dans les véritables principes de la Grammaire raisonnée, les a adoptés et se les est rendus propres, en les exposant avec tant de netteté et de précision, il y a sujet de croire que M. Restaut, et tous les maîtres sensés, adopteront ces mêmes principes et se les rendront propres : ce qui facilitera l'étude de la Grammaire, et contribuera au progrès de l'esprit humain dans les belleslettres.

Les applications dans lesquelles M. Duclos s'est renfermé, peuvent suffire par rapport au français, que cet académicien a eu particulièrement en vue; mais elles ne me paraissent pas suffisantes par rapport au latin, dont il est essentiel d'approfondir les règles de syntaxe.

M. Du Marsais les fonde: 1° sur la connaissance de la nature des mots ou des parties du discours, tels que le nom, le verbe, etc.; 2° sur la connaissance de la proposition ou de la phrase, et de la manière dont les mots s'expliquent et se déterminent dans le discours; 3° sur la connaissance de la destination des terminaisons du même mot. C'est à ces règles primitives et uniformes qu'il rapporte toutes les façons de parler élégantes qui paraissent éloignées de la construction simple et nécessaire. Il réduit à ces règles le régime des verbes de prix, les deux accusatifs de doceo, et toutes les autres difficultés sur pænitet et refert, etc.

Ces façons de parler latines, quanti emisti? tanti, s'expliquent par le supplément des mots sous-entendus, pro pretio (1) Chez Ganeau en 1722, pages 36 et 41.

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