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celle sorte de syllabe est une voix sensible prononcée artificiellement avec d'autres voix insensibles, en une seule émission.

En général, ces définitions minutieuses, dans lesquelles les Grammairiens montrent leur sagacité, sont plus curieuses que véritablement utiles. Les personnes les moins familiarisées avec la bonne prononciation ne se trompent jamais sur ce genre de syllabes.

La définition de MM. du Port-Royal, est beaucoup moins compliquée, et donne, à peu de chose près, les connoissances nécessaires. On pourroit y ajouter celle de l'abbé Girard, qui me paroît pleine de simplicité et de clarté : La syllabe, dit cet académicien, est un son simple ou composé, prononcé avec toutes ses articulations par une seule impulsion de voix.

En suivant cette définition, le son composé de deux sons qui se prononcent par une seule impulsion, se nomme diphtongue, du mot grec Sibryos bis sonans. M. Duclos a très-bien remarqué que l'on devoit passer rapidement sur le premier son, et n'appuyer que sur le second. C'est une règle certaine pour bien prononcer en françois ces sortes de syllabes.

Mais il n'a point parlé d'une multitude de mots douteux, où les étrangers peuvent voir également, soit une diphtongue, soit deux syllabes. Tels sont les mots cieux, guerrier, vouliez, et les mots précieux, meurtrier, voudriez. Dans les trois premiers, les sons ieux, ier, iez, ne forment qu'une diphtongue; dans les trois autres, les mêmes sons forment deux syllabes.

Les étrangers ne pourront parvenir à fixer leurs doutes que par la lecture des bons poëtes du siècle de Louis xiv. Racine et Boileau ont irrévocablement déterminé le nombre des syllabes des mots douteux.

IL

CHAPITRE IV.

est surprenant qu'en traitant des accens, on ne parle que de ceux des Grecs, des Latins et des Hébreux, sans rien dire de l'usage qu'ils ont, ou qu'ils peuvent avoir en françois. Il me semble encore qu'on ne définit pas bien l'accent en général par une élévation de la voix sur l'une des syllabes du mot. Cela ne peut se dire que de l'aigu, puisque le grave est un abaissement. D'ailleurs, pour ôter toute équivoque, j'aimerais mieux dire, du ton que de la voix. Elever ou abaisser la voix, peut s'entendre de parler plus haut ou plus bas en général, sans distinction de syllabes particulières.

Il n'y a point de langue qui n'ait sa prosodie : c'est-àdire, où l'on ne puisse sentir les accens, l'aspiration, la quantité et la ponctuation, ou les repos entre les différentes parties du discours, quoique cette prosodie puisse être plus marquée dans une langue que dans une autre. Elle doit se faire beaucoup sentir dans le chinois, s'il est vrai que les différentes inflexions d'un même mot servent à exprimer des idées différentes. Ce n'étoit pas faute d'expressions que les Grecs avoient une prosodie très-marquée; car nous ne voyons pas que la signification d'un mot dépendit de sa prosodie, quoique cela pût se trouver dans les homonymes. Les Grecs étoient fort sensibles à l'harmonie des mots. Aristoxène parle du chant du discours, et Denys d'Halicarnasse dit que l'élévation du ton dans l'accent aigu, et l'abaisse

ment dans le grave, étoient d'une quinte; ainsi l'accent prosodique étoit aussi musical, sur-tout le circonflexe, où la voix, après avoir monté d'une quinte, descendoit d'une autre quinte sur la même syllabe, qui par conséquent se prononçoit deux fois.

On ne sait plus aujourd'hui quelle étoit la proportion des accens des Latins, mais on n'ignore pas qu'ils étoient fort sensibles à la prosodie : ils avoient les accens, l'aspiration, la quantité et les repos.

Nous avons aussi notre prosodie; et quoique les intervalles de nos accens ne soient pas déterminés par des règles, l'usage seul nous rend si sensibles aux lois de la prosodie, que l'oreille seroit blessée, si un orateur ou un acteur prononçoit un aigu pour un grave, une longue pour une brève, supprimoit ou ajoutoit une aspiration; s'il disoit enfin tempěte pour tempête, axe pour axe, l'Hollande pour la Hollande, le homme pour l'homme, et s'il n'observoit point d'intervalles entre les différentes parties du discours. Nous

avons

comme les Latins, des irrationnelles dans notre quantité, c'est-à-dire, des longues plus ou moins longues, et des brèves plus ou moins brèves. Mais si nous avons 9 comme les anciens, la prosodie dans la langue parlée, nous ne faisons absolument le même usage qu'eux des accens dans l'écriture. L'aigu ne sert qu'à marquer l'é fermé, bonté,

le

pas

l'è

grave marque ouvert, succès; on le met aussi sur les particules à, là, çà, etc. où il est absolument inutile. Ainsi ni l'aigu ni le grave ne font pas exactement la fonction d'accens, et ne désigne que la nature des e : le circonflexe ne la fait pas davantage, et n'est qu'un signe de quantité; au lieu que chez les Grecs c'étoit un double accent, qui élevoit

et ensuite baissoit le ton sur une même voyelle : nous le mettons ordinairement sur les voyelles qui sont longues et graves; exemples, age, fête, côte, jeûne: on le met aussi sur les voyelles qui sont longues sans être graves; exemples, gîte, flúte, voûte. Il est à remarquer que nous n'avons point de sons graves qui ne soient longs; ce qui ne vient cependant pas de la nature du grave, car les Anglois ont des graves brefs. On a imaginé pour marquer les brèves, de redoubler la consonne qui suit la voyelle; mais l'emploi de cette lettre oisive n'est pas fort conséquent : on la supprime quelquefois par respect pour l'étymologie, comme dans comète et prophète; quelquefois on la redouble malgré l'étymologie, comme dans personne, honneur et couronne: d'autres fois on redouble la consonne après une longue, flamme, mānne, et l'on n'en met qu'une après une brève, dåme, råme, rime, prune, etc. La superstition de l'étymologie fait dans son petit domaine autant d'inconséquences, que la superstition proprement dite en fait en matière plus grave. Notre orthographe est un assemblage de bizarreries et de contradictions.

Le moyen de marquer exactement la prosodie, seroit d'abord d'en déterminer les signes, et d'en fixer l'usage sans jamais en faire d'emplois inutiles: il ne seroit pas même nécessaire d'imaginer de nouveaux signes.

Quant aux accens, le grave et l'aigu suffiroient, pourvu qu'on les employât toujours pour leur valeur.

A l'égard de la quantité, le circonflexe ne se mettroit que sur les longues décidées ; de façon que toutes les voyelles qui n'auroient pas ce signe, seroient censées brèves ou moyennes. On pourroit même, en simplifiant, se bor

nèr à marquer d'un circonflexé les longues qui ne sont pas graves, puisque tous nos sons graves étant longs, l'accent grave suffiroit pour la double fonction de marquer à la fois la gravité et la longueur. Ainsi on écrîroit dge, fètê; còte; jeune, et gite, flüte, voûte, etc.

L'e fermé conserveroit l'accent aigu par-tout où il n'est pas long; il ne seroit pas même besoin de substituer le circonflexe à l'aigu sur l'è fermé final au pluriel. Pour ne pas se tromper à la quantité, il suffit de retenir pour règle générale que cet é fermé au pluriel est toujours long; exemples, les bontés, les beautés 4 etc.

Les sons ouverts brefs (ce qui n'a lien que pour des é, tels que dans père, mère, frère, dans la première syllabe de netteté, fermeté, etc.) pourroient se marquer d'un accent perpendiculaire.

Il ne resteroit plus qu'à supprimer l'aspiration # par-tout où la voyelle n'est pas aspirée, comme les Italiens l'ont fait. Leur orthographe est la plus raisonnable de toutes.

Cependant, quelque soin qu'on prît de noter notre prosodie, outre le désagrément de voir une impression hérissée de signes, je doute fort que cela fût d'une grande atilité. Il y a des choses qui ne s'apprennent que par l'usage; elles sont purement organiques, et donnent si peu de prise à l'esprit, qu'il seroit impossible de les saisir par la théorie seule, qui même est fautive dans les auteurs qui en ont traité expressément. Je sens même que ce que j'écris ici est trèsdifficile à faire entendre, et qu'il seroit très clair, si je m'exprimois de vive voix.

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Les Grammairiens, s'ils veulent être de bonne foi, conviendront qu'ils se conduisent plus par l'usage que par leurs

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