Imágenes de páginas
PDF
EPUB

oiseuses, et plusieurs écrivains ont tenté davantage. J'avoue (car il ne faut rien dissimuler) que la réformation de notre orthographe n'a été proposée que par des philosophes; il me semble que cela ne devroit pas absolument en décrier le projet. On pourroit presque en même temps borner le caractère x à son emploi d'abréviation de CS, tel que dans Alexandre, et de gz, comme dans exil; mais on écriroit heureus, fàcheus, etc. puisqu'on est déja obligé de substituer la lettre s dans les féminins heureuse, fâcheuse, etc.

On pourra trouver extraordinaire que j'écrive il a u, habuit, avec un u seul, sans e, mais n'écrit-on pas il 2, habet, avec un a seul? Il seroit d'autant plus à propos de supprimer l'e, comme on l'a déja fait dans il a pu, il a vu, il a su, que j'ai entendu des personnes, d'ailleurs trèsinstruites, prononcer il a éu. Je ne prétends pas au surplus donner mon sentiment pour règle; mais on doit faire une distinction entre un changement subit d'orthographe qui embarrasseroit les lecteurs, et une réforme raisonnable, dont les gens de lettres s'apercevroient seuls, sans être arrêtés dans leur lecture.

CE chapitre est le seul dans lequel MM. du Port-Royal aient indiqué des changemens pour l'orthographe, encore ne les ont-ils proposés qu'avec une réserve blâmée à tort par M. Duclos. MM. du Port-Royal ont marqué, ainsi que le plan de leur ouvrage le leur prescrivoit, les principes généraux qu'on auroit dû adopter pour une langue écrite, si les combinaisons du raisonnement avoient pu entrer plus facilement dans l'écriture que dans le langage. Mais ils ont reconnu en même temps les difficultés insurmontables que l'on éprouveroit pour changer les usages reçus, et les inconvéniens qui résulteroient d'un changement à , supposer qu'il pût jamais

s'effectuer. M. Duclos leur reproche d'avoir fait sentir l'utilité des mots qui s'écrivent d'une manière particulière, à raison de leur étymologie. Ainsi l'Académicien voudroit que l'on écrivît champ, campus, comme chant, cantus, parce que ces deux mots se prononcent de la même manière. Il donne, pour raison de cette opinion, que le sens de la phrase doit expliquer celui du mot dans la langue écrite, comme il l'explique dans la langue parlée. Je pense que M. Duclos se trompe en confondant ainsi les deux facultés que l'homme possède pour exprimer ses idées. En lisant un livre, nous nous bornons absolument à ce qui est écrit, nous ne voyons pas l'auteur de ce livre, nous n'entendons point les divers accens de sa voix, nous ne pouvons lui demander l'explication des mots que nous ne comprenons pas. Nous avons donc besoin que l'orthographe nous épargne les homonymes, et nous facilite par l'étymologie, l'intelligence des mots douteux. Lorsque nous conversons avec quelqu'un, notre position est bien différente. Ses gestes, sa prononciation, le jeu de ses traits nous expliquent ce qu'il dit; et si ses pensées ne sont pas rendues assez clairement, nous avons la ressource de lui faire des questions sur ce que nous n'entendons pas. M. Duclos est donc dans l'erreur lorsqu'il veut assimiler la langue écrite à la langue parlée. Il est étonnant qu'un esprit aussi juste que le sien ait pu recourir à de semblables sophismes, pour un changement d'orthographe qui ne seroit, sous d'autres rapports, d'aucune utilité.

M. Duclos, après avoir confondu les effets de la langue écrite et de la langue parlée, relativement aux mots dans lesquels l'étymologie influe sur l'orthographe, fait une distinction entre ces deux langues, relativement à l'ascendant que l'usage peut avoir sur l'une et sur l'autre. La pensée de Varron pouvoit avoir quelque justesse avant l'invention de l'imprimerie, quoique l'autorité d'un empereur n'ait point été assez forte pour introduire une consonne dans la langue romaine. Mais depuis que toutes les classes de la société savent lire et écrire, depuis que la langue écrite est presque aussi répandue que la langue parlée, il seroit impossible de forcer tous ceux qui

écrivent à changer leur orthographe, et tous ceux qui lisent à faire une nouvelle étude de la lecture.

La grande raison que les Grammairiens novateurs font valoir en faveur de leurs systèmes, porte sur la difficulté d'enseigner la lecture d'une langue dont l'orthographe est irrégulière. L'expérience journalière suffit pour répondre à cette objection. Plusieurs personnes ont eu tant de facilité pour apprendre à lire, qu'elles ne se souviennent pas même de s'être livrées à cette étude dans leur enfance.

M. Duclos a prévu l'observation que l'on pourroit lui faire sur les livres qui remplissent aujourd'hui nos bibliothèques, et qu'il faudroit abandonner si les lettres de la langue et l'orthographe étoient changées. Il répond légèrement, que tous les livres d'usage se réimpriment continuellement, et que les hommes que leur profession oblige à lire les anciens livres y seroient bientôt stylés. On ne style point aussi facilement les hommes à redevenir écoliers que le pense M. Duclos. Je le répète, il ne résulteroit des innovations grammaticales, qu'une horrible confusion et un grand dégoût pour des études arides qui se trouveroient alors doublées.

M. Duclos, à l'exemple des philosophes qui ne raisonnent que d'après des hypothèses, a fait un petit roman sur l'origine de l'écriture. Il est malheureux que les faits qu'il suppose ne s'accordent point avec les traditions grecques, qui disent expressément que les lettres ont été apportées dans la Grèce par les Phéniciens, et que les différens dialectes de cette langue, qui remontent à la plus haute antiquité, soient en contradiction avec l'opinion que l'art de l'écriune fois conçu, dut être formé presque en même temps.

ture,

Au reste, l'Académicien ne donne pas une bien favorable idée des nouveaux systèmes grammaticaux, en disant que la réformation de notre orthographe n'a été proposée que par des philosophes. Les fautes que la philosophie moderne a faites dans tout ce qu'elle a voulu réformer, sont la mesure du désordre qu'elle auroit introduit dans la Grammaire françoise, si elle avoit pu réussir à bouleverser l'orthographe de Pascal et de Racine.

Cependant M. Duclos avoit pensé qu'il étoit impossible de faire sur-le-champ une réforme complète dans l'orthographe françoise. Dans la nouvelle orthographe qu'il avoit adoptée, il n'avoit point rectifié toutes les irrégularités; il s'étoit borné à un petit nombre de changemens qui ne laissent pas néanmoins de dénaturer entièrement l'orthographe françoise. Pour mettre le lecteur à portée d'en juger, j'ai fait conserver l'orthographe de M. Duclos, dans la partie de sa notc, où il en fait l'apologie. J'ai voulu qu'on pût juger de la force de ses raisons, par l'exemple que l'on auroit en même temps sous les yeux.

M. Bauzée, qui s'étoit aussi exagéré les difficultés de l'enseignement de la lecture, vouloit qu'on changeât entièrement l'alphabet. Il proposoit de former les voyelles de traits arrondis, et les consonnes de traits droits. Ce changement, qui passe un peu une simple réforme, est encore plus hardi que les idées de M. Duclos. Heureusement ce système ne fut regardé que comme le fruit des méditations oisives d'un homme qui consacra toute sa vie au travail minutieux de peser des mots et des syllabes.

Mais il est une autre espèce d'innovation qui jamais n'a pu être desirée par un homme de lettres, et qui cependant a été proposée sérieusement par M. Duclos, l'un des quarante de l'Académie françoise. C'est de ne plus suivre aucune règle fixe en écrivant. L'orthographe des femmes lui paroît préférable à celle des savans; et il voudroit que ceux-ci adoptassent l'orthographe des femmes, en écartant encore ce qu'une demi-éducation y a mis de défectueux, c'est-à-dire de savant. Je suis dispensé de faire aucune réflexion sur ce singulier passage de M. Duclos ; je ne l'aurois pas même relevé, si je n'avois voulu faire voir jusqu'à quel point l'esprit prétendu philosophique peut égarer les hommes les plus sensés.

Il résulte de tout ceci, qu'on s'est beaucoup abusé sur les progrès que l'on a cru que la Grammaire avoit faits depuis le siècle de Louis XIV. J'ai dit, dans l'ouvrage qui précède la Grammaire de Port-Royal, que, depuis cette époque, presque toutes les spéculations grammaticales n'avoient servi qu'à jeter de la confusion dans

le langage, et à embrouiller les choses les plus claires. Je ne laisserois aucun doute sur la vérité de cette opinion, si je voulois offrir aux lecteurs l'analyse de toutes les méthodes et Grammaires générales qui ont paru pendant le dix-huitième siècle.

CHAPITRE VI.

Tour ce chapitre est excellent, et ne souffre ni exception ni réplique. Il est étonnant que l'autorité de P. R. sur-tout dans ce temps-là, et qui depuis a été appuyée de l'expérience, n'ait pas encore fait triompher la raison, des absurdités de la méthode vulgaire. C'est d'après la réflexion de P. R. que le Bureau Typographique a donné aux lettres leur dénomination la plus naturelle; fe, he, ke, le, me, ne, re, se, ze, ve, je, et l'abréviation cse, gze ; et non pas èfe, ache, ka, èle, ème, ène, ère, esse, zède, i et u consonnes icse. Cette méthode déja admise dans la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie, et pratiquée dans les meilleures écoles, l'emportera tôt ou tard sur l'ancienne par l'avantage qu'on ne pourra pas enfin s'empêcher d'y reconnoître; mais il faudra du temps, parce que cela est raisonnable.

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »