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SECONDE PARTIE

CHAPITRE PREMIER.

MESSIEURS de P. R. établissent dans ce chapitre les vrais fondemens sur lesquels porte la métaphysique des langues. Tous les Grammairiens qui s'en sont écartés ou qui ont voulu les déguiser, sont tombés dans l'erreur ou dans l'obscurité. M. du Marsais, en adoptant le principe de P. R. a eu raison d'en rectifier l'application au sujet des vues de l'esprit. En effet, MM. de P. R. après avoir si bien distingué les mots qui signifient les objets des pensées, d'avec ceux qui marquent la manière de nos pensées, ne devoient pas mettre dans la première classe, l'article, la préposition, ni même l'adverbe. L'article et la préposition appartiennent à la seconde ; et l'adverbe contenant une préposition et un nom, pourroit, sous différens aspects, se rappeler à l'une et à l'autre classe.

Tous les Grammairiens modernes ont cherché à étendre la définition si claire, que MM. du Port-Royal donnent ici des opérations de notre esprit. En y mêlant la nouvelle métaphysique, on n'a fait qu'obscurcir ce qui étoit lumineux. L'abbé de Pont, l'abbé Cochet, l'abbé Girard, l'abbé Terrasson et M. Bauzée, ont prétendu que MM. du Port-Royal avoient omis les pensées qui nous viennent du sentiment. M. Bauzée a sur cette prétendue découverte, formé un système métaphysique dont je donnerai une légère idée. Il trouve deux espèces de parties d'oraison : « Les premières sont les signes naturels des sentimens, les autres sont les signes arbitraires

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des idées; celles - là constituent le langage du cœur, elles sont " affectives; celles-ci appartiennent au langage de l'esprit, elles

sont discursives ». On sentira facilement que cette division n'a aucune utilité. Elle manque de justesse, en ce qu'il n'y a aucune de nos pensées qui ne tienne en même temps et de la faculté de sentir et de celle de juger. En effet, dans les actions où nous sommes emportés par les sensations les plus fortes, il s'opère toujours en nous-mêmes un jugement dont nous ne nous rendons pas compte ; et dans les actions où nous avons employé tous les calculs de notre raison, il se mêle également une sensation qui échappe à nos réflexions.

M. Duclos n'a point eu l'orgueil de réformer la définition de MM. du Port-Poyal. Il la regarde comme contenant les vrais fondemens sur lesquels repose la métaphysique des langues.

Il adopte également la distinction des mots, comme objets de nos pensées, et comme exprimant la manière de nos pensées. Mais il pense que MM. du Port-Royal se sont trompés, en plaçant l'article, la préposition et l'adverbe dans la première classe. Il partage en cela l'opinion de M. Dumarsais, le meilleur des Grammairiens modernes, qui, malgré l'extrême justesse de son esprit, n'a pu se préserver entièrement du goût novateur et sophistique du dixhuitième siècle.

M. Duclos ne donne aucune raison pour appuyer son opinion. Il me semble nécessaire d'éclaircir cette question importante par un exemple et de montrer ensuite, par de courtes réflexions, quelle doit être la place des mots dont il s'agit dans la division grammaticale.

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Exemple: L'homme, né pour penser, est véritablement l'ouvrage le plus parfait du Créateur. Il suffit d'examiner les six premiers mots, où se trouvent un article, une préposition, et un adverbe.

L'article le, placé devant le substantif, en est inséparable; il sert, ainsi qu'on le verra par la suite, à donner de la netteté au discours, et à prévenir les fausses interprétations, avantages que n'avoit point la langue latine. Ces deux mots, le et homme, qui,

de quelque manière que l'on combine cette phrase, ne peuvent manquer d'être unis, appartiennent bien certainement à l'objet de la pensée. M. Dumarsais, en faisant une distinction plus subtile que juste, pense que l'on doit séparer les objets de nos pensées, d'avec les différentes vues sous lesquelles l'esprit considère ces objets. C'est pourquoi les mots qui ne marquent point des choses, n'ont d'autre destination que de faire connoître les vues de l'esprit. Cette distinction paroît avoir convaincu M. Duclos; mais on peut observer que les vues de l'esprit s'expliquent par la réunion de tous les mots d'une phrase, et que les mots qui marquent des choses, concourent à cette opération, aussi bien que ceux qui n'en marquent pas. La distinction de M. Dumarsais me semble donc peu juste; elle ne peut servir qu'à multiplier les difficultés; celle de MM. du PortRoyal, au contraire, est lumineuse, et ne peut donner lieu à aucune objection.

La préposition pour sert à marquer le rapport de la cause finale. Si je dis L'homme est né pour penser, ou l'homme n'est pas né pour penser, il est clair que dans ma première proposition, est né forme une manière de penser affirmative, et que, dans la seconde, n'est pas né, forme une manière de penser négative. Le sujet de ces propositions, et le rapport indiqué par la préposition pour, sont donc les objets de mes deux pensées.

Par la même raison, l'adverbe, toujours composé d'une préposition et d'un nom, marque un rapport, et doit être considéré comme objet de la pensée. Ainsi dans la phrase que j'ai donnée pour exemple, est véritablement, remplace est avec vérité.

CHAPITRE V.

L'INSTITUTION ou la distinction des genres est une chose purement arbitraire, qui n'est nullement fondée en raison, qui ne paroît pas avoir le moindre avantage, et qui a beaucoup d'inconvéniens.

Les Grecs et les Latins en avoient trois; nous n'en avons que deux, et les Anglois n'en ont point dans les noms ; ce qui, pour la facilité d'apprendre leur langue, est un avantage: mais ils en ont trois au pronom de la troisième personne; he pour le masculin, she pour le féminin, des êtres animés ; et it, neutre pour tous les êtres inanimés. Les genres sont utiles, dit-on, pour distinguer de quel sexe est le sujet dont on parle on auroit donc dû les borner à l'homme et aux animaux; encore une particule distinctive auroit-elle suffi; mais on n'auroit jamais dû l'appliquer universellement à tous les êtres. Il y a là-dedans une déraison, dont l'habitude seule nous empêche d'être révoltés.

Nous perdons par-là une sorte de variété qui se trouveroit dans la terminaison des adjectifs, au lieu qu'en les féminisant, nous augmentons encore le nombre de nos e muets. Mais un plus grand inconvénient des genres, c'est de rendre une langue très-difficile à apprendre. C'est une occasion continuelle d'erreurs pour les étrangers et pour beaucoup de naturels d'un pays. On ne peut se guider que par la mémoire dans l'emploi des genres, le raisonnement n'y étant pour rien. Aussi voyons-nous des étrangers de

beaucoup d'esprit, et très-instruits de notre syntaxe, qui parleroient très-correctement, sans les fautes contre les genres. Voilà ce qui les rend quelquefois si ridicules devant les sots, qui sont incapables de discerner ce qui est de raison d'avec ce qui n'est que d'un usage arbitraire et capricieux. Les gens d'esprit sont ceux qui ont le plus de mémoire dans les choses qui sont du ressort du raisonnement, et qui en ont souvent le moins dans les autres.

C'est ici une observation purement spéculative, car il ne s'agit pas d'un abus qu'on puisse corriger; mais il me semble qu'on doit en faire la remarque dans une Grammaire philosophique.

LES Grammairiens modernes ont voulu rendre raison de toutes les irrégularités de la Grammaire; et cette prétention d'expliquer, par des analogies, des règles absolument arbitraires, a multiplié les définitions inutiles et les distinctions sophistiques.

M. Dumarsais reconnoît qu'il n'existe point une idée accessoire de sexes, ni dans la valeur des noms inanimés, ni dans les termes abstraits, ni dans les noms des êtres spirituels. Il pense qu'il n'y a de genre que dans les noms des animaux, dont la conformation extérieure est différente, et dont l'espèce est visiblement divisée en deux classes. Selon lui, le genre attaché à tous les autres substantifs n'est que le fruit de l'habitude et de l'usage. Jusque-là le grammairien ne s'écarte point de la route tracée par MM. du Port-Royal ; mais il me semble que sa distinction des substantifs animés et des substantifs inanimés, sous le rapport des genres, manque de jus

tesse.

M. Dumarsais croit que dans les noms des animaux à figure distinctive, l'adjectif obéit, c'est-à-dire, que la nécessité lui fait prendre la terminaison de l'un ou de l'autre genre où se trouve classé le substantif. Il pense, au contraire, que dans les noms des

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