de Condé. J'en citerai quelques-unes, et l'on verra que le poëte réussissoit moins dans le genre érotique que dans la poésie noble. C'est Henrirv qui parle : Cette dernière stance renferme un sentiment touchant et profond. Les deux premières sont rendues péniblement. On voit que le poëte s'ef force d'exprimer des idées tendres, mais qu'il revient malgré lui au ton élevé de l'ode. Regnier, lorsqu'il ne peignoit pas les turpitudes du libertinage auquel il n'étoit que trop enclin, réussissoit à exprimer avec grâce les sentimens les plus délicats de l'amour. Les élégies qu'il composa pour Henri ïv, sont en général écrites dans le style qui convient à ce genre. Si l'on veut en excepter quelques sentimens exagérés, quelques détails peu nobles, défauts qui tiennent au goût du temps, on pourra les regarder comme des poëmes érotiques très-agréables. Après avoir lu quelques stancês amoureuses de Malherbe, on sera peutêtre curieux de connoître la manière de Regnier dans le style élégiaque. On verra que ses vers, faits avec beaucoup de travail, ont cependant de la légèreté et de l'élégance; et que sur-tout le sentiment qu'ils renferment est plein de vérité. Regnier peint une veuve regrettant l'amour, et levant les scrupules d'une jeune fille qui craint d'aimer : Licandre aima Lisis, Philisque aima Filene, Me dit tout franchement, en pleurant l'autre jour, Un goût épuré blâmera l'enflure des premiers vers, mais il ne pourra s'empêcher d'admirer la tournure noble et élégante de ceux qui suivent. On remarquera aussi, qu'à l'exception de l'inversion vicieuse du second hémistiche du onzième vers, ce morceau porte entièrement le caractère des poésies du siècle suivant. On a vu quelle influence Regnier et Malherbe ont eue sur la formation de la langue françoise. Le dernier sur-tout affectoit un purisme rigoureux, et ne souffroit point qu'on blessât en sa présence les règles du langage. Admis quelquefois à la cour, il se permettoit de reprendre avec chaleur ceux qui s'exprimoient incorrectement. Le roi, élevé dans le midi de la France, avoit conservé quelques mots et quelques tournures du jargon méridional. Toutes les fois qu'il lui en échappoit devant Malherbe, le poëte les relevoit sans ménagement; et ce bon prince, loin de s'en fâcher, reconnoissoit, sous le rapport du langage, l'autorité du premier écrivain de son temps. On peut attribuer à cette cause la pureté et l'élégance d'expression qui se sont conservées long-temps à la cour de France. On remarquoit dans les courtisans les moins spirituels et les moins instruits, une manière de parler noble et distinguée, qui frappoit au premier moment, et qui pouvoit quelque temps faire illusion sur le vide de leurs pensées. Avant la révolution de 1789, le langage de la cour s'étoit corrompu. La préférence donnée aux mots à double entente, la fausse sensibilité l'avoient fait dégé nérer. Racan, élève de Malherbe, ne réussit point dans le genre qui avoit fait la gloire de son maître. Le goût de la campagne, un caractère d'esprit qui le portoit à peindre des images douces, lui inspirèrent des pastorales où il évita l'exemple des Italiens, dont les poésies champêtres n'avoient pas la simplicité du genre. Racan s'appesantit peut-être un peu trop sur les détails minutieux de la vie rurale. Il ne chercha point assez à rendre ses peintures gra cieuses; il employa quelquefois des expressions peu dignes de la poésie. Quand il voulut prendre un ton plus élevé, il échoua. Tout le monde connoît les vers où, traduisant un des plus beaux morceaux d'Horace, il parle, ainsi que Malherbe, de la mort, qui n'épargne ni le pauvre, ni les rois. Le parallèle qui a été fait plusieurs fois de ces deux morceaux ; a suffi pour faire sentir la différence des deux poëtes dans le genre noble. La mort prématurée de Henri iv, les troubles qu'on redoutoit sous un roi foible, sembloient présager la décadence des lettres, lorsque Richelieu, en s'emparant du gouvernement, leur donna une impulsion plus forte, et prépara les succès du règne de Louis xiv. Le goût exclusif du cardinal pour la poésie dramatique, fut la première cause de la supériorité de notre théâtre, et contribua peut-être, en bornant l'ambition des poëtes françois aux succès de la scène, à rendre notre versification moins propre à l'épopée. Du moins, est-il à remarquer que, pendant le siècle de Louis XIV, aucun de nos bons poëtes n'essaya de faire un poëme épique. En adoptant, pour la poésie noble, les alexandrins à rimes régulières, dont le dialogue dramatique rompt heureusement x |