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sublimes qui semblent élever l'homme au-dessus de lui-même, et le premier modèle du style de la comédie. Maintenant vous allez y voir le tableau de l'amour tendre et naïf; et vous pourrez observer que l'auteur de Cinna ne tombe point dans la fadeur que l'auteur de l'Art poétique reprochoit justement à Quinault. Corneille avoit soixante-sept ans, lorsqu'il fut invité à remplir un canevas d'opéra fait par Molière. Le poëte sembla rajeunir pour contribuer aux plaisirs de Louis xiv. Son style, toujours énergique et nerveux, parut se détendre, si je puis m'exprimer ainsi; et la plus douce élégance succéda aux traits vigoureux de ses autres ouvrages. On en pourra juger par la déclaration de Psyché à l'Amour:

A peine je vousvois, que mes frayeurs cessées
Laissent évanouir l'image du trépas,
Et que je sens couler dans mes veines glacées
Un je ne sais quel feu que je ne connois pas.
J'ai senti de l'estime et de la complaisance
De l'amitié, de la reconnoissance;
De la compassion les chagrins innocens

M'en ont fait sentir la puissance.

Mais je n'ai point encor senti ce que je sens.

Tout ce que j'ai senti n'agissoit pas de même,
Et je dirois que je vous aime,

Seigneur, si je savois ce que c'est que d'aimer.

Peut-on reconnoître, dans l'auteur de ces vers doux et élégans, le poëte énergique et sévère qui traça le caractère des Horaces, celui de Cornélie, et le rôle de Cléopâtre dans Rodogune? Les meilleurs opéras de Quinault présentent-ils une suite de vers aussi nourris d'idées, aussi naturels, et sur-tout purgés de lieux communs? Mais j'en vais citer qui sont encore plus délicats, et mieux tournés. Psyché parle de ses parens, l'Amour s'en irrite; et la jeune fille lui demande s'il est jaloux des liens du sang. L'Amour répond :

Je le suis, ma Psyché, de toute la nature.

Les

rayons du soleil vous frappent trop souvent ; Vos cheveux souffrent trop les caresses du vent; Dès qu'il les flatte, j'en murmure.

L'air même que vous respirez

Avec trop de plaisir passe par votre bouche,
Votre habit de trop près vous touche;

Et sitôt que vous soupirez,

Je ne sais quoi qui m'effarouche,

Craint parmi vos soupirs des soupirs égarés.

prouver

Ces vers charmans peuvent servir à que si Corneille, dans ses tragédies, n'a point fait parler l'Amour assez tendrement, on ne doit point attribuer cette manière de le peindre à un défaut de talent. Il paroît que ce grand

poëte s'étoit formé sur l'Amour tragique, un système absolument opposé à celui de Racine. Il pensoit que les foiblesses et les caprices de cette passion étoient indignes de la tragédie.

Corneille fut encore celui qui, à cette époque, se rapprocha le plus de Malherbe dans le genre lyrique. Plusieurs chapitres de la traduction de l'Imitation de Jésus, peuvent être regardés comme des belles odes. Je ne citerai qu'une stance aussi belle par. la pensée, que par le rithme et l'harmonie. Corneille parle des grands lorsqu'ils descendent au tombeau :

Tant qu'a duré leur vie, ils sembloient quelque chose; Il semble, après leur mort, qu'ils n'ont jamais été. Leur mémoire avec eux sous la tombe est enclose; Avec eux y repose

Toute leur vanité.

Corneille, lorsqu'il eut vaincu la ligue puissante qui s'étoit formée contre le Cid, jouit pendant quelque temps de toute l'étendue de la réputation qu'il méritoit. Par un accord unanime, il étoit placé au premier rang des poëtes. Tous les livres du temps sont pleins des éloges dont on paroissoit vouloir l'accabler. Rotrou, que Corneille avoit la modestie d'appeler son maître, lui donna aussi un témoignage public

d'admiration. La pièce dans laquelle on trouve cet éloge, est trop singulière pour que je n'en dise pas quelques mots. Saint Genest en est le principal personnage. L'auteur le représente au moment où il étoit comédien à la cour de l'empereur Dioclétien; sa conversion est le noeud de la tragédie; son martyre en est le dénouement. Genest se dispose à jouer devant l'empereur une tragédie d'Adrien. Une partie du premier acte et le second sont employés à préparer le théâtre et l'orchestre. Genest préside à ces travaux avec l'intelligence d'un bon directeur de comédie. Il donne des conseils au décorateur, il fait illuminer le théâtre : une actrice qui se plaint des importunités des jeunes seigneurs, répète son rôle devant lui. Enfin l'empereur arrive, et cause un moment avec le héros comédien. Il lui demande s'il y a de bons auteurs, ce qui ne suppose pas dans le prince une grande connoissance de l'art qu'il se pique de protéger. Genest lui répond qu'on peut en compter trois ou quatre, et faisant allusion à deux tragédies de Corneille, il ajoute :

Nos plus nouveaux sujets, nos plus dignes de Rome,
Et les plus grands efforts des veilles d'un grand homme,
A qui les rares fruits que la muse produit,
Ont acquis sur la scène un légitime bruit

(Et de qui certes l'art comme l'estime est juste),
Portent les noms fameux de Pompée et d'Auguste;
Ces poëmes sans prix, où son illustre main
D'un pinceau sans pareil a peint l'esprit romain
Rendront de leurs beautés votre oreille idolâtre
Et sont aujourd'hui l'âme et l'amour du théâtre.

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Ces vers sont écrits avec une certaine force; ils font honneur au poëte qui parloit ainsi d'un rival vainqueur ; mais cette pièce, dont le sujet et le plan rappellent l'enfance de l'art, doit servir à faire estimer davantage Corneille, qui, à cette époque, avoit donné une grande partie de ses chefs-d'œuvres.

L'enthousiasme que ce poëte excita ne dura pas long-temps. On se lassa de l'admirer. Les dégoûts de toute espèce assiégèrent sa vieillesse ; et les comédiens même, qui lui devoient leur existence, refusèrent de jouer ses dernières pièces. Corneille ne daigna pas répondre à tant d'outrages. Dans des stances de l'Imitation de Jésus, il exprime, avec la noblesse de son caractère, le sentiment que les attaques de ses ennemis lui inspiroient :

Les injures ne sont que du vent et du bruit,
Et quiconque t'en charge, en a si peu de fruit,
Qu'il te nuit bien moins qu'à soi-même.

Pour grand qu'il soit en terre, un Dieu voit ce qu'il fait,

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